Les nouvelles modes en 1895

Publié le 14 juillet 2012 par Cameline

Aujourd'hui de nouveau je partage avec vous quelques images et textes issus de la revue La Grande Dame, qui exposent pour notre plus grand plaisir les nouvelles modes de l'année 1895.

Plus qu'à aucune époque, les femmes ont l'amour de la parure, le goût du luxe et de tout ce qui est susceptible de les embellir.

On a pu en juger aux réunions printanières, au garden-party si brillant de l'ambassade d'Angleterre, dans les bals, aux grandes journées d'Auteuil, où elles sont apparues jolies et triomphantes, dans leurs coquets atours de soie, de linon, de mousseline et de dentelle. Couleurs claires, étoffes légères, ornements très flous, très vaporeux, tout, dans la mode de cette saison, semble ressusciter le raffinement des élégances de Trianon.

La mode est singulièrement excentrique cet été ; les chapeaux, les coiffures et les robes prennent des proportions si extravagantes qu'on se demande vraiment où s'arrêtera la folie de ce ballonnement gigantesque.

Les manches n'ont plus de limites et sont très diversement drapées et ornées. Les jupes ont une ampleur menaçante, et Worth, en les garnissant de broderie, en les incrustant de dentelle bise ou noire, en les coupant de quilles plissées d'un tissu différent, leur donne une allure nouvelle si gracieuse, que les plus enragées réactionnaires se sentent bientôt vaincues et charmées par ces chef-d'oeuvre de haute élégance.

Si les jupes et les manches prennent des dimensions fabuleuses, les fleurs ont aussi, cette saison, des proportions gigantesques. Virot a composé ainsi des pensées en paillettes, d'un effet merveilleux, et des pavots en dentelle dont la légèreté donne à la coiffure un charme inconnu.

La mode se féminise de plus en plus : les étoffes sont souples et légères : les ornements, dentelles ou broderies, sont d'une finesse et d'une ténuité excessives. On sent qu'après s'être masculinisée dans ses costumes de sport, la femme veut redevenir vraiment femme et se parer, dans les autres circonstances de la vie mondaine, de tout le froufrou vaporeux que l'art industriel met au service de sa beauté.

Si les lainages gardent intégralement leurs droits dans l'habillement féminin, la soie, la jolie soie claire, chatoyante, les années précédentes, presque exclusivement réservée aux toilettes du soir ou aux robes d'intérieur, prend cette saison une large place dans les costumes de jour : taffetas glacés, rayés, brochés, chinés ou imprimés, de teintes moyennes aux reflets changeants, enfin toute la série des soies façonnées composera nos élégantes et fraîches toilettes de printemps.

Les barèges, les batistes écrues et brodées, les piqués blancs ou nankin, les linons incrustés de dentelle bise ou noire, viendront ensuite avec les costumes de courses, précurseurs des costumes de bain de mer. Il n'est plus question de foulard ; le taffetas est, cette année, le roi des tissus de soie.

Il faut encore signaler comme inédits les taffetas brodés à jours, les failles et les velours miroir cloutés de diamants, d'un effet splendide à la lumière.

La très grande majorité des toilettes se fera avec corsage de ton et de tissu différents de la jupe. La robe la plus simple prendra ainsi un cachet de haute élégance.

On combinera une jupe et des manches en lainage, en taffetas ou faille glacée, avec corsage de soie ou de fil, des batistes incrustées de tulle et brodés à jours, dont le flou et la transparence sont d'un très heureux effet. La note dominante est aux tissus crêpelés, vagués, froncés, de toutes teintes claires et foncées. Il y a des crépons double face noire et rouge, ou vert sur mauve. D'autres sont à large damiers estompés par un voile aérien crêpelé. 

Mais ce qu'apprécieront tout particulièrement nos femmes du monde, c'est l'aspect nouveau des jupes que Worth vient de créer. Imaginez une jupe dont l'ampleur, toujours plus grande, est savamment disposée et retombe tout autour de la femme, lui donnant de l'aisance et de la grâce dans les mouvements, en accentuant encore la finesse de la taille, maintenue et guidée par le nouveau corset Léoty.

Ces jupes, dont les plis sont maintenus à distances régulières, ont des ornements très divers : rubans, quilles de guipure ou de broderie, soufflets de soie plissée et mille autres fantaisies rappelant les ornements du corsage.

Quant aux manches, ce sont d'harmonieuses draperies, des mélanges de tissu de laine et de soie, de batiste et de velours, que relient des noeuds de rubans, des entre-deux de dentelle disposés sur la saignée du bras ; très courtes pour la toilette de bal, elles s'arrêtent au-dessous du coude pour la robe de dîner ou de five o'clock, et couvrent l'avant-bras en même temps qu'une partie de la main pour le costume de rue. L'ampleur est rejetée vers le coude, tandis que l'épaule est complètement dégagée et reste aussi retombante que possible.

Si les manches accusent des proportions étourdissantes, les corsages genre blouse, laissant à la taille toute sa sveltesse, sont eux aussi très variés de formes et d'ornements. On les fait de taffetas de teinte vive brodé à l'anglaise ou voilé de tulle et de gaze, soit brodé, soit endiamanté ou pailleté. Les plis de la blouse, la ceinture ou les revers sont retenus par de larges boutons en simili-diamants.

Le petit col drapé s'est légèrement modifié ; il s'orne d'un rabat en forme de collerette, fait en dentelle ancienne, en mousseline plissée, en linon incrusté de jours et de malines ; ce dernier genre est taillé en forme d'abat-jour.

Le seul vêtement admissible avec ces toilettes aux manches énormes, c'est encore la mante, mais une mante étonnante de fantaisie que l'imagination inventive de Worth a conçue avec l'art dont on se doute ; tantôt c'est un manteau de page en velours froncé formant ruché sur un empiècement et un devant incrusté de guipure, tantôt c'est un collet de drap rehaussé de guipure et de mousseline de soie, ou encore une tombée de dentelle ancienne, éclairée d'une pluie de jais retenue à un empiècement entièrement brodé de jais et de diamants noirs mélangés à des paillettes.

La veste, réservée aux sorties matinales, se portera assortie au costume ; elle se fait à basques courtes très amples avec de grands revers voilés de guipure pain brûlé ou de faille blanche entièrement brodée.

Une bien jolie nouveauté à signaler : ce sont les petites touffes de fleurs disposées en couronne, ornant les coiffures de soirée et de bal. Rien n'est aussi jeune, ni aussi seyant que ces fleurs ainsi semées dans les cheveux bouffants.

Les fleurs jouent un grand rôle dans la toilette féminine ; elles ne se contentent plus d'éclairer nos chapeaux de leurs couleurs fraîches et vives ; elles s'accrochent aux cols de nos robes, aux ruches de nos manteaux, aux tours de cou, en attendant qu'elles s'attachent aux sticks de nos ombrelles.

Pour aller boire son verre d'eau obligatoire à la source, le costume de piqué blanc ou beige est le plus pratique et le plus charmant. Pour l'après-midi, à l'heure de la musique dans le parc, une élégante se montrera en toilette légère de mousseline, de taffetas, de gaze ou de linon.

Comme chaussure, c'est le soulier de peau blanche qui est adopté avec les toilettes claires : les bas de soie sont assortis à la teinte de la robe. Les gants longs de suède blanc sont retenus au coude par un ruban passé dans la peau qui se noue sur le bras. Ce ruban est généralement assorti à la nuance de la robe.

Juin s'achève parmi les fêtes supra-élégantes, les dîners d'adieux, les courses interminables, les longs préparatifs indispensables à toute absence ; pour juillet, on s'apprête au départ.

Avec la température fantasque que nous subissons, la toilette d'une élégante voyageuse est singulièrement compliquée. Il lui faut tout prévoir : la chaleur et le froid, le soleil et la pluie.

Cependant je ne conseille pas un encombrement de bagages. Deux toilettes de voyage suffisent, l'une en cheviotte naturelle grise ou beige, ou en alpaga si on le préfère, l'autre en serge bleu marine avec veste ouverte sur la chemisette de nasouk, ou fermée et droite devant les basques très courtes et très ondulées. La petite toque de paille bleue ou marron ornée de taffetas glacé ou le chapeau de feutre avec voilette blanche sont les deux coiffures spécialement réservées aux voyages. Les gants de bicyclette en peau blanche ou grise pouvant se savonner facilement sont de préférence adoptés. Les souliers sont en cuir de ton naturel à talon bas.

Cette saison, les mondaines ont adopté le gant crème, en chevreau glacé pour accompagner le costume trotteur, à l'heure de la promenade au Bois ; elles choisissent la même nuance, mais alors en peau de Suède, qui gante plus finement, pour mettre avec les robes de taffetas glacé, de linon ou de barège.

Le Concours hippique va donner aux Parisiennes l'occasion de juger les modes de la saison.

Elles y verront des atours printaniers en des étoffes crêpelées aux reflets changeants, des robes de toile de laine très légère mélangée à des taffetas glacés, des toilettes de soie caméléon façonnée, rayée ou chinée et imprimée, aux nuances fondues, fuyantes, insaisissables.

Puis des collets excentriques en taffetas changeant, en faille de teinte vive, voilés de gaze brodée à jour ou de barège pailleté, enfin des chapeaux d'une étonnante fantaisie sortis du cerveau de nos modistes fées pour servir de cadre aux fins visages de nos Parisiennes et rehausser l'éclat et la délicatesse de leur teint.

Au Grand Prix de Paris, une des journées les plus réussies de la saison, si l'on en juge par la foule énorme qui avait envahi les tribunes et le pesage, on a pu voir une foule de toilettes en mousseline sur transparents de couleur, roses, bleus, mauve ou vert pâle, avec chapeau entièrement blanc orné de mousseline de soie plissée et de fleurs blanches, ou complètement noir en paille fantaisie, empanaché de plumes.

Ainsi étaient mises les princesses de Poix et Murat, la comtesse de Gallifel, Mmes de Ganay, Lemarrois qui rivalisaient d'élégance et de beauté.

De même que le gant, l'ombrelle et l'en-cas sont des accessoires auxquels on ne saurait apporter trop de soin.

Beaucoup de coquettes Parisiennes ont autant d'ombrelles et d'en-cas qu'elles possèdent de toilettes ; l'élégance n'impose pas toujours un pareil luxe, mais elle exige cependant que cet accessoire de la toilette soit, sinon de teinte assortie à la robe, du moins de la couleur de ses ornements ou de ceux du chapeau.

Jamais on n'a imaginée l'ombrelle si coquette, mélangée de mousseline et d'incrustations de dentelle, de gaze froncée, les nervures et le bord soulignés par un mince cordon de violettes, de fleurs de pommier ou d'églantines. Le stick est en bois naturel avec pomme en métal précieux richement ouvragé, ou encore en bois teint et verni de la nuance de l'ombrelle : rose, vert pâle, bleu, mauve, terminé par une tête de canard sauvage, de perruche, ou simplement recourbé avec chiffre d'or incrusté.

Pour les promenades à pied et les courses dans l'intérieur de la ville, on choisira l'en-cas de préférence à l'ombrelle. On en fait cet été de fort jolis en taffetas fantaisie, avec monture très fine, terminée par une noix d'or, une olive de cristal émaillée d'or, un gland de lapis ou d'écaille avec le chiffre et les armes en perles fines et pierreries.

Si l'on sort en voiture, que l'on aille sur un champ de courses, au Bois, aux Champs-Elysées, ou dans les jardins d'un Casino à la mode, on s'abritera sous l'ombrelle de dentelles et de gazes vaporeuses, que nouent des rubans retenant des bottes de fleurs. Les manches sont très simples, bois laqué vert d'eau, bleu, saphir, blanc, rose ou mauve assortis à la nuance de l'ombrelle. Une tête de canard, de perruche, une boule d'or ou de lapis termine le stick, qui demeure veuf de bouffette de ruban ou de tout autre ornement.

Tous ces menus détails de la toilette ont bien leur importance ; c'est par eux que l'on reconnaît toujours la femme élégante et de goût raffiné.

Virot bouleverse en ce moment le monde de nos chapeaux.

Plus d'ailes raides, mais des fantaisies d'oiseaux dans les ornements, des panaches souples de plumes d'autruche, des dentelles bises délicieusement chiffonnées, des rubans crânement noués, et surtout des fleurs, beaucoup de fleurs : roses, orchidées, pavots, violettes aux proportions gigantesques. Rien n'est plus seyant que les fleurs dans la coiffure de la femme ; mélangées aux dentelles, groupées en des cache-peigne, aux teintes vives, se mélangeant aux cheveux largement ondulés par un procédé nouveau lancé par un de nos coiffeurs mondains, et qui les rend plus bouffants qu'ils n'ont jamais été, il n'est rien de plus charmant au visage.

On verra le grand et le petit chapeau se disputer les caprices des Parisiennes.

Les pailles de fantaisie très fines, très légères et transparentes auront la vogue qu'elles méritent.

Les petites capotes, posées sur les cheveux moussus, sont très élargies par les garnitures : ailes de jais ou de dentelle, fleurs géantes et noeuds aux larges coques. Mais la saison printanière est celle qui s'approprie le chapeau rond, un peu délaissé durant l'hiver ; il reparaît en des formes très seyantes dans les mains de Virot qui s'entend si bien à les agencer à l'air du visage. De grandeur moyenne, ils se font beaucoup en paille de fantaisie de diverses couleurs, vert d'eau, pervenche, violette de Parme ou marron.

Le chapeau Louis XVI très nouveau en paille noire ou tabac, la calotte drapée d'une superbe soie ancienne fond rose, que fixe une boucle de strass, avec ses plumes en panache et des roses faisant cache-peigne, est une trouvaille élégante, singulièrement coquette.

Pour les sorties matinales, nous aurons le petit chapeau en paille de couleur orné de choux de ruban façonné, mélangé à des violettes et à des roses. Quelques ailes en aigrette, beaucoup de coques de ruban élargissant les bords, tel sera le mot d'ordre de la saison.

Le chapeau d'après-midi, c'est la grande capeline Louis XVI de Virot très diversement ornée de fleurs et de dentelle, de plumes et de ruban ; ces garnitures se mélangent de côté et derrière aux cheveux toujours très soufflés, très bouffants, ondulés avec art.

Sources images et textes :

La Grande Dame, 1895, à lire sur Gallica

Images du Grand Prix à Longchamp en 1895, à voir sur Paris en Images