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“La petite Venise” un film réalisé par Andrea Segre : quand le cinéma est leçon d’élégance

Par Alyette15 @Alyette1

Rares et précieux sont les metteurs qui en s’emparant des images savent dire les bondissements de nos cœurs, ces bondissements incontrôlables qui un beau jour prennent racine et s’entêtent à y rester. La petite Venise est l’histoire de ce jaillissement, celui d’une rencontre cinématographique que l’on peut qualifier d’inoubliable avec pour cadre la mélancolique lagune Vénitienne.

Jeune chinoise récemment immigrée, Shun Li travaille dur, coud quarante chemises quand les autres en fabriquent dix de moins. Nostalgique,  la jeune femme souffre de son exil, de l’absence de son fils resté au pays, autorisé à la rejoindre une fois sa dette payée aux réseaux mafieux. Envoyée de gré ou de force d’un bout à l’autre de la botte, elle échoue à Chioggia, une île de la lagune, pour travailler comme serveuse.

Fréquenté essentiellement par des pêcheurs, le bar ne désemplit pas d’une amitié virile bon enfant faite de parties de cartes, de grosses mains rudoyées par la mer, d’expressos prune engloutis sur le comptoir des souvenirs. Parmi ces hommes, Bepi. Exilé slave installé depuis trente ans en terre Vénitienne, le vieil homme au regard de loup rime, joue avec les mots. Les bottes ancrées à la lagune, Bepi est incapable de renoncer à sa cabane de pêcheur et aux grillades de poissons partagées avec les copains. Avec la brume pour témoin, va se nouer entre ces deux errances une amitié-aquarelle teintée de bienveillance, de maladresses et d’effleurements. Une amitié douce comme le pincement d’un vent froid qui enveloppe le cœur. Une harmonie naissante que les autres ne tarderont pas à voir d’un mauvais œil.  L’enfer c’est les autres, toujours les mêmes, les empêcheurs d’aimer. Chinoise ou transalpine, la bêtise s’entête, prend racine et interdit.

Emouvante, cette histoire d’amitié nous dit la fracture des civilisations et les frontières culturelles qui tenaces transforment les hommes en loups. Cette petite Venise n’est pas celle des touristes que le réalisateur choisit d’exclure du cadre pour nous  évoquer une Sérénissime populaire appartenant encore à ses habitants. A contrario d’un Visconti esthète, Andrea Segre contemple la montée des eaux engloutissant inexorablement les vestiges d’une vielle Europe fière de ses certitudes, retranchée sur son art de vivre et résolue à exclure l’autre, l’étranger. Songeuse, sa caméra nous exile face à l’Adriatique avec pour horizon des chaines de montagne infranchissables. Touchée par la grâce La petite Venise est aussi une ode poétique tentant de réunir l’Asie et l’occident, le poème antique chinois et l’ingénuité du vieil homme à la mer. Partagés entre candeur et lucidité, les deux interprètes magnifient l’indicible, le regard brun de l’une terrassant la haine, le regard bleu de l’autre inventant des lendemains. A la fois hors du temps par son cadre et lucide par son propos,  ce récit cinématographique d’une rare élégance redonne au cinéma italien sa subtilité de jadis, celle qui fut à l’origine d’un certain néo-réalisme cher à tous les cinéphiles. Un long-métrage poétique et sans affectation à serrer tout contre son cœur.

Astrid MANFREDI, le 14/07/2012


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