On vous a teasé. On vous a offert la mixtape récemment. Il est temps de chroniquer la première mixtape de l’une des artistes les plus médiatisées du moment. Si les attentes sont très hautes et la tape très attendue, le résultat est… original.
Azealia Banks est très talentueuse. Elle a un flow destructeur, vicieux et rapide, une personnalité forte et imposante, et elle sait s’armer des producteurs les plus hype du moment pour repousser les limites du rap game. Sur sa première mixtape, l’élément qu’on ne peut pas éviter, plus qu’ Azealia Banks elle-même, c’est bien la production. On ne peut pas réellement dire que c’est une mixtape d’Azealia Banks. C’est plus une sorte de compilation des meilleurs producteurs du moment sur lesquels rappe Azealia Banks.
Fantasea a changé de nom plusieurs fois, mais il aurait aussi bien pu s’appeler Underground Electronic Music : All Stars 2012. Le line-up de producteurs ferait avoir un hipstergasm à tous les aficionados de la musique électronique. On retrouve le héroïque Machinedrum, qui a déjà travaillé avec la rappeuse, mais aussi d’autres qui ont aussi travaillée avec elle, comme Lone, Diplo, ou Hudson Mohawke. Ajoutez y des producteurs comme Ikonika, Eprom, Lunice, araabMUZIK, et d’autres et le tour est joué : vous avez un line-up du tonnerre et une preuve de l’éclectisme fascinant et ingénieux d’Azealia Banks, qui s’impose comme l’une des artistes les plus hype de sa génération, en mélangeant son rap à la vague EDM, Juke, Glitch-hop et Techno.
La dernière fois qu’on a rassemblé autant d’artistes proches pour s’occuper d’un truc, c’était pour l’album de remixes de The King Of Limbs de Radiohead… et ça avait raté (du moins en général). Si quelques uns étaient motivés (Jacques Greene ou Jamie XX), les autres avaient plus l’air d’êtres là pour faire plaisir à Thom Yorke. C’est pas vraiment ce qu’on ressent sur Fantasea, même si certains tracks sont d’anciennes productions (par exemple : la chanson éponyme est une ancienne chanson de Machinedrum), mais on a quand même l’impression que, comme sur TKOL RMX, on oublie totalement l’artiste original pour se focaliser sur les artistes autour.
La production est vraiment impressionnante, elle rassemble tous les trends de la musique actuelle et les exploite avec une maîtrise absolue. On a droit à de la house bien Detroit-esque sur Fierce, de l’EDM bien puissante sur Fuck Up The Fun, de la Techno suintante sur Nathan, du Footwork survitaminé sur Fantasea… et c’est très bien réalisé. Elle va même jusqu’à rapper sur le classique Let’s Get It On Tonight pour Esta Noche. Les meilleurs moments, tels que Jumanji sont vraiment très bons, avec le hip-hop délirant de Hudson Mohawke. Le tout ressemble beaucoup, voire un peu trop à l’excellent BBC Essential Mix de Rustie, où il mixe rap, EDM, Techno, House, et… un peu tout ce qu’on retrouve sur cette mixtape. D’ailleurs, certaines chansons étaient dessus, comme Aquababe, qui n’est que l’excellent remix de Regis Chillbin d’Eprom par Machinedrum.
Maintenant, le plus gros problème, c’est que… Azealia Banks a l’air d’être juste posée là, au milieu, en train de rapper sur des productions pas forcément faites pour rapper. Si l’EP SXLND de Machinedrum ressemblait plus à de la musique de fond, c’était parce que les sons dessus étaient faits pour qu’Azealia rappe dessus, où elle remplissait les vides. Les chansons avaient l’air moins solides en tant qu’instrumentaux, mais une fois Azealia dessus ça devenait immédiatement meilleur. Prenons Van Vogue, ou NEEDSUMLUV, d’anciennes chansons d’elle. Les originaux de Machinedrum n’étaient pas si intéressants. Azealia l’était beaucoup plus. Mais ici, c’est l’inverse : la production est trop proéminente et Azealia n’arrive pas à s’imposer. Je ne crois pas que le problème vienne d’Azealia, car ce n’est pas comme si elle ne faisait aucun effort : la production n’est simplement pas faite pour qu’on rappe dessus, elle n’a pas été conçue (ou en tout cas pour une bonne moitié des chansons) pour qu’on laisse de l’espace par dessus lequel on peut le faire. Il y a certains moments où elle rappe un peu trop exagérément pour pouvoir se faire remarquer, du genre eh, regardez moi ! c’est MA mixtape, arrêtez d’écouter cette basse et faites attention à moi ! La première partie de la mixtape, les premières chansons, sont beaucoup plus balancées, mais c’est difficile de tenir la cadence sur 19 chansons (oui, 19, c’est énorme je sais).
Mais peut-on réellement la blâmer ? L’idée de rapper sur des productions aussi exceptionnelles est très bonne, mais très difficile, et c’est un défi que ni Azealia Banks ni la majorité de ses contemporains ne pourrait pas réaliser. Elle essaye de suivre, de remplir, de s’adapter, de la meilleure manière possible, mais au final ça rend la majorité des chansons trop saturées. Prenons Runnin‘, track footwork à la basse et aux snares effrénés, ou n’importe quel track contenant un sample vocal. Des fois, elle rappe par dessus, et le tout peut sembler bon sur le papier, mais en réalité c’est beaucoup trop plein.
Azealia Banks sait rapper, elle le fait très bien. Son flow est surprenant, et le contenu de ses lyrics fin et bien tourné. La production est sans aucun doute le meilleur point de l’album, elle se classe sans conteste parmi les meilleures productions de cette année, et les plus hyped. C’est une sélection de génie, et on peut acclamer Azealia pour avoir choisi cette équipe. Pourtant, réellement, elle aurait mieux fait de choisir cette sélection pour un DJ Set, pas pour une mixtape de 19 chansons qui doit positionner sa place dans le rap game et montrer à son public toute l’étendue de son talent. Et puis franchement, 19 chansons, c’est beaucoup, beaucoup trop, surtout que chacune a un bon (voire très bon) beat et que c’est difficile de s’imposer dessus… Enfin ce n’est pas sa faute : personne ne peut vraiment bien s’imposer devant ces productions, elle a été trop ambitieuse pour sa première fois. La qualité et la saturation des beats lui fait de l’ombre sur toute la mixtape, et c’est absolument regrettable.
Cependant, quand on y pense, le tout reste très appréciable individuellement : les beats sont des perles, les interludes très appréciables, le rap d’Azealia très puissant. Quand on l’écoute, on se dit qu’elle a juste fait une erreur de stratégie plus qu’un manque d’effort ou de créativité. Ces deux derniers points sont évidents : Azealia essaye de se surpasser et repousse les limites de ce qui se fait en rap, en mélangeant toutes les tendances actuelles. Mais son talent ne s’accorde pas forcément avec celui de ses producteurs.
Mais personnellement, durant mon écoute, ça ne m’a pas réellement gêné plus que ça : la mixtape reste très appréciable, ne serait-ce que pour l’effort d’Azealia ou pour la production fantastique. On va simplement dire que ce n’est pas aujourd’hui qu’Azealia Banks s’imposera comme la nouvelle figure du hip-hop féminin, et que la mixtape est un moyen très agréable d’attendre son premier album. Il y a quand même beaucoup de chansons qui se démarquent et où le rap d’Azealia se mêle bien à la production, comme Fierce, Aquababe ou Jumanji, et c’est une mixtape réellement solide. Alors je pense que cette tape mérite un encourageant et bon 7.4. La production mérite beaucoup plus, de l’ordre de 9.0, et son rap au moins 8.5, mais nous sommes en musique et non pas en mathématiques, et ici quand on mélange un 9.0 et un 8.5 ça ne donne pas forcément ce qu’on attendait de cette sortie. 7.4/10
Je suis le rédacteur en chef du site. Je suis marocain, j'ai 18 ans et je suis étudiant... Bref, sachez surtout que je suis un énorme passionné de musique underground et de journalisme musical qui connaît le sujet de fond en comble. Je trouvé énormément de plaisir à écouter, partager, découvrir, parler, débattre et autres activités tant que ça concerne la musique. Voilà !
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