Ici, le fil rouge, c’est le rire ; pas celui, policé, des humoristes mondains et des révoltés officiels, mais le grand rire, celui qui, sans nécessairement tuer, s’impose comme une redoutable arme de subversion, sinon de destruction massive. Un rire que les princes n’apprécient guère, puisqu’il remet leur pouvoir en question, lorsqu’il ne sape pas les fondations sur lesquelles repose l’ordre social. Pour parvenir à ses fins, l’auteur nous promène toutefois dans des univers si variés qu’il fait appel à des références que tous les lecteurs ne maîtriseront pas nécessairement. Celles du Japon et de l’éthique samouraï, de la musique de Frank Zappa, de l’humour typiquement américain d’Andy Kaufman.
Heureusement, un autre univers, qui constitue la colonne vertébrale du livre, nous est plus familier : celui du professeur Choron et de Hara-Kiri. Les courtes monographies qu’il croque des principaux membres de la rédaction de ce journal mythique (Choron, Topor, Reiser, Cavanna, Gébé…) méritent à elles-seuls une lecture attentive. Tout comme les pages où l’auteur nous fait revivre cette émission de Michel Polac qui sonna le glas de « l’humour bête et méchant ».
Tous les portraits inclus dans ce livre ne sont pourtant pas flatteurs. Michel Polac fait les frais de sa duplicité ; quant à Philippe Val, Pacôme Thiellement l’exécute d’une phrase, certes longue, mais d’un beau vitriol littéraire :
L’auteur s’en prend également aux ex-soixante-huitards qui « passé le moment de jeter leur gourme, décidèrent de faire main basse sur l’industrie culturelle, et n’ont encore rien lâché à ce jour. » L’esprit Hara-Kiri renaîtra-t-il ? Ce n’est pas évident, car un certain nombre de ces ex-soixante-huitards se sont évertués, depuis des années, au nom d’une bien-pensance sirupeuse, à verrouiller toutes les issues qui ne conduiraient pas au politiquement correct, à l’humour consensuel – c’est-à-dire à un non-humour ne présentant aucun danger pour leur pré carré. Par le pouvoir de nuisance de ces chevaliers plus blancs que blanc auquel le second degré est par essence étranger, aujourd’hui, les rares intrépides qui pratiquent encore « l’humour bête et méchant », pourtant avec modération, finissent dans les prétoires. Ou comment le totalitarisme mou vient à bout de l’irrespect, de l’ironie et de l’impertinence, ces traditions ancestrales au pays de Triboulet, de Voltaire et de Reiser.
Illustration : Le Professeur Choron, photographie D.R.