Chronique à lire

Publié le 22 mars 2008 par Arnaud Lehmann

Chronique parue dans Le Monde :

Les cent jours de Nicolas Sarkozy, par Patrick Jarreau


Quelle aventure ! Elle avait commencé, fin 2004, quand Nicolas Sarkozy s'était emparé de la présidence de l'UMP, qu'Alain Juppé avait dû abandonner après sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris. Ce fut le départ d'une marche au pouvoir, certes pas sans embûches, mais couronnée par un succès éclatant, suivi de beaucoup d'éclats en tout genre. La défaite subie par la droite aux élections municipales et cantonales marque la fin de cette histoire.

De Brumaire à Fontainebleau en trois ans et demi ? Au moment où Dominique de Villepin vend (très bien) sa collection de livres et d'autographes napoléoniens, le rapprochement est tentant. Nicolas Sarkozy n'a pas abdiqué. Il ne s'est pas retiré au pavillon de la Lanterne, qui n'est pas l'île d'Elbe. Marie-Louise n'est pas repartie pour Vienne : elle publie un point de vue dans Le Monde. Mais il a à peu près cent jours, d'ici à la fin de la session parlementaire et la présidence française de l'Union européenne, pour reprendre la main.

Après dix mois de mandat, le président est regardé par tous, et d'abord par les siens, comme responsable des revers subis par son camp. La majorité partait avec un handicap, proportionnel à ses succès de 2001 et aux progrès de la gauche, dans les grandes villes, à la présidentielle. Le repli prévisible a été transformé en sévère correction par le mécontentement des uns, la déception des autres, aimantés par un seul homme, tournés vers une cible : le chef de l'Etat.

Les arguments de l'Elysée pour contrer cette interprétation tombent à l'eau. Les bons élèves, Luc Chatel et Laurent Wauquiez, récompensés pour avoir enlevé leurs villes à la gauche (Chaumont et Le Puy-en-Velay), sont d'autant plus méritants, en effet, qu'ils ont gagné bien que - et non pas parce que - ministres. Il n'est pas jusqu'à la réélection brillante d'Alain Juppé, à Bordeaux, qui n'apparaisse comme un désaveu implicite du président, accentué par la défaite de Xavier Darcos, décidément trop ministre, à Périgueux.

Il n'aurait plus manqué que la réussite de François Bayrou, à Pau, pour que l'infortune du président fût complète, vu l'acharnement maniaque qu'il a mis à provoquer l'échec du chef du MoDem. Au reste, Nicolas Sarkozy a évidemment raison d'être obsédé par le Béarnais, qui lui dispute ses électeurs conformément à ce que le centre a toujours été, en France comme ailleurs : une alternative au sein de la droite. De ce point de vue, les appels de Jean-Pierre Raffarin à une entente sont plus précieux que les sièges municipaux ou départementaux obtenus ou manqués ici ou là. Les militants bayrouistes sont utiles pour offrir à leur héros une caisse de résonance, mais son destin dépend uniquement de la possibilité qui lui sera donnée ou pas d'apparaître comme un recours, à droite, si celui qui la dirige aujourd'hui échoue.

A-t-il déjà échoué ? C'est la question qui rôde. La comparaison avec le premier mandat de Jacques Chirac trouve ici une justification apparente. Il y a treize ans, élu avec un programme de relance de l'économie par la dépense publique, le pourfendeur de la "fracture sociale" avait tourné casaque en moins de six mois et décrété la rigueur. La confiance était brisée. Les grèves de décembre 1995 ont creusé le fossé. Il lui a fallu ensuite cinq ans de cohabitation pour purger le passé et finir par se faire réélire, en 2002, dans les conditions que l'on sait.

Instruit par cette expérience, Nicolas Sarkozy jette l'anathème sur toute espèce de plan de rigueur, qui serait pour lui aussi un reniement. Si ses amis ne se trompent pas quand ils disent que les Français, dans leur majorité, attendent la mise en oeuvre du programme pour lequel ils ont voté en 2007, on assistera peut-être au sauvetage du réformateur par la réforme.

  Patrick Jarreau