Gasiorowski, Les Cérémonies, Érostrate, L'immortalité, 1984, 195x195
Longtemps, je suis passé à côté de ce peintre, ne lui prêtant qu'un intérêt distrait, sachant bien qu'il devait y avoir une plus grande richesse derrière l'apparente banalité de ses toiles, mais n'ayant pas l'envie ou l'opportunité d'aller plus profond. Il m'a fallu visiter l'exposition Gasiorowski à la Fondation Maeght (jusqu'au 26 septembre) pour qu'un rideau se déchire, pour que j'accède enfin à l'essence de cette peinture (peut-être aussi parce que, peu de temps auparavant, j'avais vu cet autre fou de peinture qu'est Richter, pour qui l'acte de peindre est tout aussi essentiel, 'quelque chose de grave').
Gasiorowski, Les Fatalités ou les liens de la famille, Médée, 1972, 81x54
Gasiorowski est avant tout un destructeur, oeuvrant dans une destruction créative de la peinture. Dans ses peintures sombres, le motif s'enfuit, s'estompe, fait hésiter le regard, la peinture trouble l'image, l'empêche de fonctionner seule, l'emmène vers sa disparition. Dans une des premières salles, Médée (Les fatalités ou les liens de la famille) surgit de l'ombre, à demi fondue dans le décor, surplombée de son double dépoitraillé, à côté du tumulte des volutes enfumées contrastant avec les lignes droites de la boiserie (ci-contre; la reproduction du catalogue est inversée par erreur). Tableau mystérieux, tout comme Suzanne et le vieillard, un peu plus loin, corps féminin qui s'efface dans le noir, regard hagard, vieillard solitaire et néanmoins absent, thème éternel ici chamboulé; ou comme La plage (L'approche), (ci-dessous), détail anatomique disgracieux suffisamment incertain pour que le regard incommodé
Gasiorowski, Suzanne et le vieillard, 1972, 79x79
s'en échappe au plus vite. Sans doute emblématique de cette approche est la figure d'Érostrate, passé à la postérité de par son acte destructif et réduit ici à une figurine, inscrite dans ce temple dont nous ne saurons rien (en haut).
Gasiorowski, L'Approche. La Plage, 1965, 130x162
Gasiorowski, vue d'exposition (Les Croûtes)
Autre destruction de peinture, celle des Croûtes, tableaux hideux à souhait, et qui pourtant sont aussi de la peinture, c'est tout ce que Gasiorowski affirme là. Et aussi le degré zéro de la peinture, ses Aires à peine marquée d'un trait, ses Impuissances vidées de toute figure hors un imperceptible trait de crayon, ses recouvrements occultant l'image.
Gasiorowski, Six figures inintelligibles, 1986, 220x1000, détail
Héritage d'une destruction incompréhensible : comment se peut-il que les peintres de Lascaux, si doués pour peindre bisons, félins et taureaux, n'aient su dépeindre leur semblable qu'avec des traits rudimentaires, simplistes, sans volume, sans relief. L'homme de Lascaux (le seul) n'est pas une figure accidentellement loupée, mais c'est, me plaît-il à croire, une image volontairement détruite, un échec délibéré de la représentation, la première destruction de la peinture. Gasiorowski, adepte de ce mal-peindre, reprend cette figure dérisoire, sur une grande composition murale, et la confronte à son extrême, au dépouillement rigoureux de l'Homme qui marche de Giacometti, aboutissement d'une autre destruction de la figure.
Gasiorowski, Stances, 1986, 200x4000, détail
Gasiorowski, vue d'exposition
Et aussi l'impossibilité de limiter la peinture : dans une grande salle se confrontent un Makemono de 10 mètres entre ses deux rouleaux dans une vitrine, les Stances (40 mètres) au mur et, au sol, comme un chemin, son rouleau de papier kraft peint recto-verso, journal de bord interminable, obsession de peinture à l'état brut.
Comme le dit le titre de l'exposition, Gasiorowski était fou, fou de peinture, comme le Artaud des glossolalies l'était de mots.
Photos de l'auteur.
Voyage à l'invitation de la Fondation Maeght et d'autres centres d'art de la région.