C’est une longue histoire, et comme toutes les histoires, on la comprend mieux si on en connaît le début. Laissez moi donc vous conter ma rencontre avec Radiohead.
Acte I, scène I.
Le tout début, c’est donc mes années collège et ces quelques albums qui tournent de temps à autre sur ma chaîne hi-fi : OK Computer en premier lieu, sans jamais délaisser Pablo Honey et les autres. Ce serait mentir (ou embellir) de dire que les murs de ma chambre d’ado étaient tapissés de posters à l’effigie du groupe de Thom Yorke, mais il faisait incontestablement partie de mes groupes préférés, sûrement juste derrière les White Stripes dans le classement de mon cœur.
Acte I, scène II (quelques années plus tard).
La suite, c’est la déception qu’a été la sortie du dernier album, The King Of Limbs. Ne revenons pas sur ce triste épisode d’une histoire qui en connaît bien trop de jolis pour qu’on s’attarde sur celui-ci.
Acte I, scène III.
En décembre dernier, on annonce : Radiohead en concert aux Arènes de Nîmes, l’été suivant. Les places seront mises en vente quelques jours plus tard, la carte bleue sera au rendez-vous (c’est celle de Tito, qui m’accompagnera, et que je remercie ici).
Acte I, scène IV.
Je ressors les vieux CDs, et les écoute impatiemment, en pensant au beau jour de juillet où Radiohead m’attendra, au cœur des Arènes.
Acte I, scène V.
C’est l’heure de réserver hôtel et train, on profitera de ce séjour pour faire un petit détour par Arles (les Rencontres, les copains et le pastis). Sans trop savoir ce qui nous y attendra, à savoir…
(entracte)
Prenez un quart d’heure, levez-vous, allez vous chercher un coca au frigo et regardez donc le clip de Lotus Flower. Vous avez aussi le droit de rire un peu, ou de vous essayer quelques instants à une danse bien particulière.
Acte II, scène I.
Terrasse du bar de l’hôtel Nord-Pinus, Arles, 9 juillet au soir.
Une voiture noire s’arrête, la porte s’ouvre.
C’est Thom Yorke qui en descend. Il rentre dans l’hôtel, un sac en papier recyclé Whole Foods dans la main droite, et il fait sa tête…habituelle, en fait. Là, c’est le moment un peu con où tu te retrouves avec le souffle coupé, parce qu’une de tes idoles de jeunesse est passée à un mètre de toi (et qu’elle va dormir dans la chambre en dessous de la tienne). Finalement, Thom redescend sur la terrasse et boit son thé bio en profitant de la douce et calme nuit arlésienne. Le cœur battant à mille à l’heure, je m’en vais lui demander s’il veut bien faire une photo et suis refroidi par son « no photo, sorry » ; tant pis, je ne peux pas résister et je le prends discrètement de dos.
Encore un peu dans un état second, je m’endors en pensant à la soirée qui m’attend le lendemain.
Acte II, scène II.
On prend place dans les gradins des Arènes, à droite de la scène pour profiter du soleil qui se couche doucement. Séance d’observation entre voisins (certains ont eu l’outrecuidance de venir vêtus d’un t-shirt honorant Coldplay). Alors que la lumière est à peine tamisée, Caribou entre en scène. Est-il encore besoin de rappeller qu’ils ne font pas de la pop française, mais qu’ils sont Canadiens, et que le meilleur de leur électro hypnotique tient en un unique album (le seul à ce jour) : Swim, dont la douceur rend impossible la lassitude ? La première partie laissera le public sur sa faim : une demi-heure bien trop courte, mais un final explosif : Odessa suivie d’une version de Sun étendue, extatique et ô combien excitante. Un régal.
Ces trentes minutes permettent de comprendre à quel point les Arènes sont un lieu magique : complètement hors du temps, cet assemblement de pierres antiques accueille parfaitement la musique la plus contemporaine qui soit. Le son est propre et rond, il entoure nos oreilles, emballe nos cœurs et enveloppe nos corps.
Acte II, scène III.
Pour s’occuper pendant le changement de plateau, le public s’occupe avec une longue série de olas qui prêtent à sourire et réchauffent les cœurs, mais finissent par lasser. La soleil se fait de plus en plus rasant, mais la température reste douce. De toute manière, pas le temps de se poser ces questions : Radiohead ne devrait plus tarder à arriver.
Acte III, scène I.
Il est 21h40, les lumières des Arènes s’éteignent en même temps que le public s’enthousiasme d’une seule voix. Pour sa première date depuis le tragique incident de Toronto (la scène s’est effondrée peu avant le début du concert, tuant un technicien), le groupe ouvre sur Lucky et, sans mauvais jeu de mot, ça a dû leur porter chance. Déjà, les musiciens livrent le meilleur d’eux mêmes : l’incarnation est habitée, l’effet est magique : les poils se hérissent vite. Arrivent alors deux morceaux du dernier album : Bloom et Morning Mr. Magpie. Alors que je craignais de devoir contenir ma déception devant le passage live de ces morceaux qui étaient en studio tantôt ronflants, tantôt pédants, je suis agréablement surpris : l’interprétation scénique les rend radieuses, impressionnantes de justesse. Plusieurs fois au cours du concert, au cours duquel la quasi-intégralité du (mauvais) album en question sera jouée, la même métamorphose aura lieu, à l’exception peut-être d’une Little By Little un peu en berne. Une impression vite effacée par la formidable Paranoid Android (seul morceau tiré d’OK Computer auquel nous aurons eu droit) : intense, hyponotisante, elle fascine.
Ce soir aurait pu ne valoir que par ces cinq minutes passées au paradis. Déjà, le groupe quitte la scène, avant de revenir sous des applaudissements nourris, qui acclament aussi Treefingers, plus minimale et uniquement instrumentale. Atmosphère incroyable, aussi planante que vaporeuse. On ne redescend pas tout de suite du nuage sur lequel la chanson précédente nous avait fait grimper. Pour les deux rappels, le groupe pioche presque uniquement dans In Rainbows et Kid A. Le final est dantesque : Idioteque finit dans une sorte de transe hallucinée, transformant les Arènes en rave (ou presque). C’est le rêve qui se poursuit alors, dans une version indescriptible de Reckoner. Le public semble en communion totale, le groupe est plus habité et concerné que jamais, Thom Yorke ayant introduit la chanson par un hommage à leur technicien décédé à Toronto : « We would like to thank our amazing crew…also, this one’s for our friend Scott », alors que sa photo, montrant son doux sourire, s’affiche sur les huits écrans géants des Arènes.
Acte III, scène I.
Standing ovation. Le groupe disparaît après deux heures magistrales, deux heures délicates et subtiles, qui ont impressionné par leur splendeur. Evidemment, Thom Yorke nous aura gratifié des fameux pas de danse qu’il met en œuvre dans le clip de Lotus Flower (il semble en avoir ajouté un à la liste : le saut de cabri). Mais ce qui restera, ce n’est pas cela, ni même le show de lumières finalement un peu déjà vu (difficile d’innover dans ce domaine), c’est juste la classe imperturbable. Celle de ce qui semble, après un tel spectacle, le plus grand groupe du monde.