Un litige ayant opposé une maison de luxe à l’un de ses designers illustre parfaitement la nécessité que revêtent les contrats de cession de droits d’auteur lorsque les Parties se séparent en mauvais termes. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris dans cette affaire le 7 décembre 2011 mérite analyse dès lors qu’il révèle bon nombre d’arguments juridiques pouvant être soulevés à la fois par l’auteur et par le cessionnaire des droits dans ce type de litige.
Les faits
L’affaire opposait la société Chanel à un designer avec lequel elle avait contracté pour développer une gamme d’articles de bijouterie et de joaillerie de luxe. Plusieurs contrats dits de « création de modèles originaux » étaient signés avec la société exploitant les droits du designer en prévoyant la cession à la société Chanel de l’intégralité des droits patrimoniaux d’auteur sur chacun des modèles créés, ainsi que le droit pour cette dernière d’adapter et de modifier lesdits modèles avec l’accord écrit de l’auteur, lequel ne pourrait « refuser cet accord que pour des motifs sérieux et raisonnables ».
Ces contrats ayant pris fin, les Parties ont signé un accord visant à fixer les règles applicables lorsque la société Chanel devrait éventuellement solliciter l’accord du designer pour modifier ou adapter ses créations (fixation d’une contrepartie de 10 000 euros par autorisation ; hors les cas de simple changement de couleurs ou de pierres).
Très vite, le designer s’apercevant que son accord n’était rémunéré que dans 20 % des cas, estima que la société Chanel n’exécutait pas de bonne foi les conventions et refusa dès lors d’accorder les autorisations non payantes qui lui étaient demandées.
C’est dans ces circonstances que la société CHANEL a assigné son ex-designer en nullité de l’accord susvisé (au motif que celui-ci porterait sur des choses hors commerce, à savoir le droit moral de l’auteur, pourtant incessible et qu’il serait donc dépourvu de cause) ; ce dernier demandant également à titre reconventionnel la nullité dudit contrat (au motif que les restrictions apportées à l’exercice de son droit moral ne seraient pas définies ni dans leurs termes, ni dans leur étendue).
La solution
La Cour prononce la nullité de l’accord sollicitée par les deux parties.
C’est sur les conséquences de cette nullité que les parties divergeaient. La Cour refuse de faire droit aux demandes de la société Chanel visant à obtenir la restitution des sommes versées au titre des autorisations données par l’auteur de modifier son œuvre aux termes de l’accord annulé car selon elle, la société Chanel se trouve elle-même dans l’impossibilité de restituer les prestations reçues, puisqu’il est impossible d’annuler les autorisations de l’auteur données en contrepartie de ces sommes et qui ont permis à la société Chanel d’exploiter ces ouvres modifiées et d’en tirer un profit commercial.
Les Parties sollicitaient également la nullité des différents contrats de « création de modèles originaux » antérieurs.
La Cour confirma l’irrecevabilité des demandes portant sur les contrats les plus anciens comme étant prescrites, au regard du délai de prescription par 5 ans des actions personnelles ou mobilières tel que prévu par l’article 2224 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008.
Au visa de l’article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre », la cour se prononce également sur la validité de la clause des contrats non prescrits qui prévoyaient une cession de droits au profit de la société pour modifier et adapter les créations en précisant que « pour procéder à des modifications ou adaptations des créations, Chanel devra obtenir l’accord écrit d’IDEAL (société exploitant les droits du designer) qui ne pourra refuser de lui donner cet accord que pour des motifs sérieux et raisonnables. La demande d’accord sera faite par écrit par Chanel à IDEAL qui aura un délai d’un mois compter de la réception d’une telle demande pour répondre à Chanel. Le silence d’IDEAL ne pourra être présumé valoir acceptation d’IDEAL ».
Au préalable, elle rejette les prétendues violations des articles L. 131-3 et L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle soulevés par la société IDEAL, au motif que seul l’auteur, en l’espèce le designer tiers auxdits contrats, a qualité pour s’en prévaloir.
Pour les mêmes motifs, la Cour infirme le jugement qui a prononcé la nullité desdits contrats pour atteinte à l’inaliénabilité du droit moral du designer au respect de son œuvre. En effet, elle constate que la clause litigieuse « ne crée d’obligations qu’à la charge de la société IDEAL, laquelle n’est pas l’auteur et n’a donc pas qualité pour défendre sur ce point le droit moral du designer » et qu’elle « n’emporte pas renonciation a priori de l’auteur au droit au respect de son œuvre mais lui laisse au contraire intégralement le droit de s’opposer à toute modification ou adaptation qui n’aurait pas son agrément ».
La Cour valide également la clause du contrat prévoyant que « ni IDEAL ni M. Bäumer ne prendront l’initiative de divulguer au public leur rôle dans la création de bijoux ou le fait qu’ils sont parties au contrat (…) et que ce n’est qu’à la demande et avec l’autorisation et selon les modalités ayant reçu l’approbation de Chanel qu’ils pourront faire des communications à la presse et/ou aux tiers relativement à leur rôle dans la création des bijoux ».
Elle estime en effet que cette clause qui permet à la société Chanel d’exploiter les créations du designer sans faire mention de son nom, n’emporte pas pour autant aliénation de son droit à paternité mais lui laisse au contraire la faculté d’exiger à tout moment la mention de son nom sur ses créations ; ce qu’il ne fit pas jusqu’alors. En revanche, le Tribunal fait droit à la demande du designer d’ordonner à la société Chanel, sous astreinte par jour à compter du prononcé de l’arrêt, de faire figurer ses nom et qualité sur les publicités, catalogues, sites Internet et qu’un poinçon reproduisant en son nom dans la même taille que Chanel soit apposé sur chaque exemplaire des modèles créés par lui.
Conclusions
La signature de contrats de cession de droit clairs, nets et précis doit toujours être envisagée, surtout par ceux qui souhaitent exploiter ces droits ; à défaut de quoi l’exploitation sera constitutive de contrefaçon.
Comme le démontre l’arrêt analysé ici, une attention toute particulière devra notamment être attachée à la qualité des parties signataires du contrat et aux clauses de cession de droit qui devront notamment tenter d’encadrer la délicate question du droit moral de l’auteur (droit au respect de son nom, de son œuvre et de sa qualité) imprescriptible, inaliénable et incessible.
Source :
A propos de CA Paris, 7 décembre 2011