Mme Filippetti, nouvelle ministre de la culture, pose aux côtés de Jack Lang,[1] et lance son credo : « la culture peut changer le monde ». Vaste programme ou effet d’annonce ? Viennent les projets...
Par Christine Sourgins
Mme Filippetti commence donc par… du zèle financier et propose que les ordinateurs soient assujettis à la redevance TV. Voilà qui fleure bon le racket fiscal caché sous la « mesure d’équité ». Proposition recalée par le ministre du budget : le monde à l’envers ! Or Bercy dans son plan de rabotage des avantages fiscaux, prévoit déjà de réduire de moitié l’abattement proposé aux entreprises pour leur action de mécénat (de 60 % du montant du don, on passerait à 30 %). Cela va-t-il changer la donne ? Les entreprises, au yeux de l’administration, sont toujours suspectes de financements occultes, elles avaient donc pris l’habitude de participer aux opérations montées par le ministère, échappant ainsi à la suspicion attachée au mécénat de proximité et indépendant. Ce monstre de financement hybride (mi public mi privé) échappe aux lois du secteur privé comme du secteur public (demandez à un musée ce qu’il achète avec l’argent du contribuable, on vous rira au nez) : il nous en coûte une caporalisation, une « normalisation » de la création en France. Cependant l’assèchement de la niche fiscale ne présage guère d’embellie car, comme disent les chinois, « quand les gros maigrissent, les maigres meurent ».
Sur le terrain culturel, Wim Delvoye, après Jan Fabre et d’autres pointures de l’Art très contemporain, occupe le Louvre : rien de nouveau sous le soleil ? Si, Delvoye, pour une fois, c‘est joli. Les affiches, les journaux exhibent son « gothique technologique » qui en séduit plus d’un : dessinées par ordinateur, Delvoye plaque des résilles flamboyantes sur toutes sortes d’objets. Dans une vidéo en ligne[2], il expose son credo artistique : "On pourrait remplacer le mot art par le mot gaspillage..." "pour moi l'art c'est pas grand chose..." Après un grand numéro de fausse humilité, Wim conclue que "le Louvre est mieux avec les artistes contemporains que sans" ; quant à Notre-Dame, cette vieillerie peut mieux faire car Delvoye décerne des notes et seul son gothique technologique obtient 10/10. Delvoye est connu pour avoir inventé « Cloaqua », la très technologique machine à fabriquer des excréments. Il faut écouter ce grand penseur de la Post modernité affirmer que la scatologie est le summun de la démocratie égalitaire... Il nous livre une version bouffonne du désir secret de l’oligarchie au pouvoir : la démocratie, qui prend du temps et coûte de l’argent, est à évacuer d’urgence.
Le « joli » de Delvoye cache deux attaques majeures. L’une contre l’humanisme, car Tim a posé sous les lambris dorés du Louvre. Tim est cet homme dont Delvoye tatoua le dos. L’artiste élève des cochons dans une ferme en Chine, les tatoue, et quand un collectionneur réclame l’œuvre dans son salon, Wim tue le cochon, lui tanne la peau et le tour est joué. La dépouille humaine du défunt Tim subira le même sort car Tim a vendu sa peau et dans le contrat signé avec l’artiste, Tim doit s’exhiber en outre quelques jours par an, d’où sa présence au Louvre. Toute l’intelligentsia pro AC (AC « art trop contemporain ») s’émerveille de « cette manifestation ultime de la fusion de l'art et de la vie », dire que le Quai Branly vient de monter une exposition pour condamner l’exposition, autrefois, des sauvages dans les musées et autres zoos humains : mais que fait donc le Louvre ? Au secours Mme Filippetti : plus ça change, plus ça régresse ! Les derniers humanistes comprendront la leçon : l‘homme est une marchandise comme une autre, et l’AC est l’art du fondamentalisme marchand.
La deuxième attaque s’en prend, pour la énième fois, à la figure du Christ. Plus ça change, plus c‘est pareil. Cependant après « Gogotha Pic-nic » et les délires scatologiques de Castelluci, cette provoc anti-catho paraît kitsch et maniérée. Au Louvre, le crucifix est tordu à la manière esthético-ludique d’un ruban de Moebius ce qui nous vaut des considérations sur « les angoisses bioéthiques ou évolutionnistes ». [3]
Le changement serait-il à Versailles qui, parité oblige, invite une dame « à dialoguer » avec le palais. Le numéro est parfaitement rodé. Il faut obtenir un petit scandale, histoire de se faire mousser dans la grande presse. L’artiste projette donc d’exposer un lustre en tampons tampax chez Marie-Antoinette. Le but est de défendre la cause des femmes mais Mme Pécard refuse. D’une pierre deux coups : l’artiste peut revendiquer la palme du martyre puisqu’elle a été « odieusement » censurée et la presse s’en fera l’écho et le lustre fut donc à la une. Mme Pégard, qui règne sur Versailles, peut se prévaloir d’un certain bon sens, d’une gestion raisonnable. Deuxième temps, Vasconcellos, pas si fâchée que ça, ne démissionne en rien de la place (elle est trop bonne) et installe dans la galerie des Glaces des escarpins géants constitués de casseroles, ce qui a un goût de déjà vu. Les casseroles versaillaises semblent furieusement plagier celles de Subodh Gupta, star de l'art contemporain indien qui a multiplié les œuvres géantes en ustensiles de cuisine, jusqu‘à Beaubourg. Versailles serait-il complice d’un règlement de compte post-colonial, favorisant le pillage du brillant indien par la portugaise ? Horresco referens ! Dire que Vasconcelos pose avec des airs ingénus de Castafiore près « de son truc en plume » (un hélicoptère à plumeaux roses) mais que fait donc Mme Taubira !Bref, après les jouets de plage américains, les smarties japonais, voici les casseroles portugaises et l’infantilisation de Versailles qui continue.
Pauvre Aurélie : le changement n’est vraiment pas pour maintenant.
[1] Métro, 21 juin 2012, p.16.
[2] http://www.dailymotion.com/video/xrbb97_wim-delvoye-l-art-et-la-lutte-des-classes_creation
[3] Voir le dernier livre d’Aude de Kerros « Sacré Art contemporain » éditions Jean-Cyrille Godefroy sur les rapports très tordus de l’AC et du christianisme.