Je crois qu’on peut le dire : tout le monde a pris conscience, maintenant, que le pays s’est sobrement installé dans son jacuzzi de caca tiède. Compte-tenu de la situation, la dernière des choses à faire est de s’agiter en battant des bras. Tout devra perdurer : bien qu’en crise, le pays continuera vaillamment de dépenser pour qu’aucune agitation ne se développe.
Et question dépenses, le pays s’y entend.
Bien sûr, ici, je pourrais évoquer facilement, un peu à la Jean-Pierre Pernaut, les multiples « investissements » indispensables que l’Etat ou l’une de ses nombreuses collectivités locales auront lancé pour remplacer, reconstruire, transformer tel édifice public, telle bretelle de route départementale ou nationale, telle construction jugée d’utilité publique. Pour un ouvrage nécessaire, combien de somptueuses réfections complètes parfaitement inutiles ?
Mais ce serait trop facile, et je ne peux sombrer dans la facilité. Ce n’est pas le genre de la maison. Sérieux, rigueur, grandes envolées lyriques, tout ça.
Mmh.
Vraiment.
Mmmggh.
Bon, soit. Un petit pour la route.
Celui de Montpellier par exemple. Sa mairie, pour être précis.
Commandée par feu-Georges Frêche, le projet pour une toute nouvelle mairie, toute pimpante, fut établi à 105 millions d’euros. Oui. Une grosse centaine de millions d’euros aura donc été cramée pour faire une mairie, c’est-à-dire l’endroit où le maire fait son travail, ainsi que son staff d’un bon millier de fonctionnaires divers. Montpellier est, certes, la 8ème ville de France, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’une centaine de millions d’euros pour 12.000 m² de locaux (soit plus de 8000€ du m²) cela fait cher.
On comprend mieux, bien sûr, le gros chiffre en bas de la facture lorsqu’on apprend que c’est l’architecte Jean Nouvel qui s’est occupé des plans. Jean Nouvel, c’est le spécialiste du marché public d’importance avec une grosse facture au début, une encore plus grosse facture à la fin, et un résultat douteux à la livraison. On se rappellera avec amusement (modéré, quand on est contribuable) du Centre International de Congrès de Tours (international, hein, à Tours, rien de moins !), baptisé « Le Vinci », dont les plaques d’acier du toit avaient été fixées par de la boulonnerie en alu (rapidement remplacée par de l’acier lorsqu’elle fit défaut), et dont les pylônes avaient été bétonnés à la va-vite quand on leur avait constaté des déplacements non prévus…
Et cette fois-ci, avec la mairie de Montpellier, ça n’a pas loupé : la facture finale n’est plus de 105 millions, mais 130. Et ce n’est pas le toit qui pose problème, mais … la cuisine et les toilettes : l’architecte a quelque peu oublié des sanitaires à certains étages, comme celui où ont lieu les cérémonies de mariage. Les invités et les futurs époux, pris d’une petite envie, devront utiliser les ascenseurs pour se soulager.
Bref. Nous sommes en France, comprenez-vous, et un petit chèque de 130 millions d’euros ne doit pas nous arrêter.
Alors, a fortiori, un chèque dix fois inférieur, de 13 millions seulement, ne fait même pas peur. Certes, c’est tous les ans, et certes, c’est pour faire perdurer la HADOPI, mais en dessous de ce coût, on ne trouve rien, pas la moindre hautotorité valabe, la moindre sous-commission…
Bien joué HADOPI, bien joué Pascal !
Quoi qu’il arrive, la facture des années passées, elle, restera. Mais comme je le soulignais, tant qu’on parle en millions d’euros, même en dizaines, même en centaines, on est encore dans la petite monnaie pour un pays riche comme la France. Pour commencer à parler montants conséquents, il faut parler en milliards, et de préférence, en dizaines de milliards.
Et ça tombe bien : même avec notre petite dette publique établie à 1789 milliards pour le premier trimestre 2012 par l’INSEE, la France dispose de suffisamment de latitude budgétaire pour se permettre d’aller aider la Grèce (encore une fois) et l’Espagne (pour ajouter du piment aux opérations de sauvetage). Des pays endettés qui aident des pays endettés en créant des piscines entières de dette, c’est possible ! C’est l’Europe !
Il faut dire que l’Etat français dispose tout de même d’une conjoncture ultra-favorable : comme tous les investisseurs fuient les pays européens les uns après les autres, à mesure que l’incendie monétaire, de solvabilité et de confiance s’étend sur toute la zone euro, les rares pays qui peuvent encore servir pour parquer les fortes sommes en Euro sont l’Allemagne … et la France (l’Italie n’étant plus en odeur de sainteté, et l’Angleterre ne faisant pas partie de la zone euro). Résultat des courses, certains emprunts se font à taux négatifs, ce qui provoque des frétillements de queue compulsifs et joyeux chez les imbéciles et les naïfs. D’une part, il s’agit de taux négatifs sur des emprunts à très court terme (on parle de quelques mois, ici) et d’autre part, cela indique surtout l’état de panique générale des investisseurs qui se raccrochent à tout ce qu’ils peuvent pour limiter l’évaporation de leurs fonds.
Ce que ces taux veulent dire, c’est que les investisseurs ont maintenant une trouille bleue des pays comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne. Et pour ne pas y mettre leurs fonds alors qu’ils rapporteraient plus de 7%, pour qu’ils en soient à perdre de l’argent plutôt qu’investir dans ces pays, c’est que la probabilité d’un effondrement, d’une sortie de la zone euro ou d’une évaporation subite de leurs fonds est devenue plus grande que jamais. Se réjouir des taux négatifs français, c’est se réjouir du malheur des petits camarades qui, s’ils tombent, entraîneront inexorablement la France avec eux. En clair, ces taux absurdes montrent que la situation est explosive, pour tous les pays de la zone euro. On voit mal ce qu’il y a de réjouissant, de rassurant ou de bonne augure dans ce genre de constat.
A en juger par les crispations au sujet du budget, de la dette et des déficits, les politiciens en charge de l’Etat français ont maintenant compris que la situation était critique.
Devant cette situation, cependant, que font-ils ? Ils continuent de dépenser somptueusement, de se goberger et de bambocher de façon décontractée.
Sabrer les dépenses ? Vous n’y pensez pas, mon brave ! Les syndicats pourraient grogner ! Commencer, même timidement, à faire comme en Italie, et diminuer vraiment l’empreinte de l’Etat dans la vie du pays ? Surtout pas ! Les fonctionnaires pourraient en prendre ombrage !