J’aime pas leur gueule de premier de la classe fringué en communiant solennel, leur dégaine de laitue sous cellophane nettoyée à la Javel, leur froideur de macchabée ressuscité au rimel.
Je déteste cette balade glaçante dans les couloirs morts, je hais ces pièces aux odeurs de trop propre et aux fenêtres verouillées. J’abhorre les salles publiques accueillant des œuvres immortelles imméritées : autant envoyer les filles de la Légion d’Honneur faire un shooting chez Hustler ou envoyer les Soeurs dela Charité enseigner le vol institutionalisé à la City ! Les lumières standardisées du Louvre me font gerber comme un hall de gare transformé en chambre nuptiale. La queue aux expositions-fashion-du-moment-qu’on-en-a-parlé-aux-Inrocks ressemble à un club de gastronomes vérifiant leur menu Mc Wrap-Frites allégées.
La date du subit engouement pour les musées, au siècle des Lumières des Lumières (le chœur : Amen !), me les rend d’ailleurs aussi douteux qu’un Dodo la Saumure prenant la tête du pensionnat Sainte Philomène, Versailles, aussi menteurs qu’un abonné d’Orange jurant son innocence en matière de penchants sado-masochistes, ou aussi bidonnés qu’un communiqué de presse annonçant l’ouverture d”une mission catho à Pyongyang .
Curieux, en effet, chez les Maîtres de la démocratie moderne ce besoin de faire des musées ! Car si je décode bien le message subliminal des lumineux décapiteurs, il vaut mieux conserver la baraque d’un vieux crabe antique pour y témoigner du passé en y enfermant vingt glandus fonctionnaires-à-vie plus trois ignares gardiens autour de cinq croûtes plutôt que d’y laisser vivre en paix la descendance nombreuse du susdit crabe, descendance souvent délirante et aussi bigarrée qu’un zoo de arriviste milliardaire russkof.
La démocratisation franc-maçonne et pipeau qui se planque derrière l’existence même des musées cache la vitrification de la culture enracinée, qu’on nationalise, élitise, dessèche. On ratiboise des lieux de vie toute inventivité, toute richesse protéiforme, tout ce qui fait le sel de la vie, pour bien planifier, ranger, classifier, isoler sous cloche.
Adieu les Rembrandt surveillant la potée dominicale dans une salle à manger au feu de cheminée. Adieu les commodes Boulle aux taches d’eau de vase aux roses fanées. Adieu la statuette antique qu’un jeune rebelle enfantin crayonne au feutre Bic. Bonjour l’égalitarisme Ikéa-les-meubles-sans-histoire, bonjour la fraternitude des chromos photocopiés, bonjour la liberté des souvenirs daubesque de Copacabana made in China. Et bonjour les congélo à Oeuvres !
Les prophètes modernes stérilisent le passé pour inventer un bel avenir auto-construit bien propre sur lui. Ils ne détruisent pas les racines, mais les dessèchent dans les archives à paperasses et à croûtes pendant que, dehors, les néo-penseurs créent un terreau autre, nouveau, avec ses codes et son égoïsme mortifère, sa révolte anti-divine.
Les musées ne sont que les frigos de l’histoire, des vitrificateurs du réel. Les énarques invertis du Ministère se révèlent des Véronique Courjault de la quête spirituelle, les conservateurs en chefs des Ilse Koche de l’interrogation de l’homme devant la Nature, les scribouillards de catalogues des truandeurs de rentes viagères -trois momies séchant dans le grenier à sel en guise de justification de vie-. À l’Ecole des Chartes, je proposerais volontiers d’offrir des sacs à cadavres en guise de diplôme, et, pour tout concours, une dissertation sur la nécessité des sacs-poubelles 50 litres renforcés et leur résistance à la décomposition du réel.
La glorieuse démocratisation de l’âââârt (hymne officiel écrit par Jacqsés Ier, le vérolé des Vosges) n’a consisté qu’en la prostitution du passé par une tribu auto-déterminée de fonctionnaires encartés, savants austères et concentrateurs, pour qu’un peuple d’antiquaire (Mister Laurent F. successeur de Comte René) puisse entasser ses liasses en Suisse à grand coups de défisc’, et, en établissant une ferme barrière autour de ce domaine réservé, éradiquer toute santé dans l’inventivité moderne… Ces traders de passé, ces marchands de vie ont organisé le vol, encadré la substitution industrielle, fermé la porte à la vraie vie. I shall not say more sur les ramifications familiales au sein des caisses à bruits modernes, des publicistes Lévy-Bleustein-Blanchet, aux Essebag pompeur de médiamétries…
Pour mieux cerner le crétin citoyen, les musées prolifèrent à coups de subventions, comme les mouches sur un gnou crevé. Musée du pinard populaire et du cidre bourgeois, musée des culottes de Ginette Grololo, Musée de la cochonaille du canton de Bizouillis les Manettes, Musée des machines à désosser les boeufs musqués. L’inventivité humaine singe celle de Dieu avec un terrifiante imagination dès qu’elle a fait une croix sur l’éternité du Créateur ! Mais le vide abyssale qui se révèle à l’accouchement de cette révolte n’induit que suicide, dérèglement, errance, puis mort en bonne et due forme, l’euthanasie assisté. L’état catastrophique du sens de l’art actuel en est la preuve…
Je vendrais un Vinci pour un sourire d’enfant. Je détruirais à la hache les trombines de Rembrandt pour le chant d’un vieux paysan. J’aimerais traîner dans la piaule de Louis-Dieudonné en me disant que ce soir, dans la royale couche sera engendré un fils d”homme. J’aimerais savoir en contemplant un Vermeer qu’en cette même pièce demain une famille soupera. Je voudrais contempler pour moi seul la copie kitschissime d’un Brueguel en me rappelant le gars croate qui m’en aura fait copie.
Je suis assez optimiste pour penser que le passé, aussi respectable soit-il et tout formel qu’il puisse être n’a nul besoin de conservateur pour durer. Et je sais la mort si intime à la vie, je sais Dieu si au-delà de nos simples formes que je ne crains pas la disparition. Juste Sa Gloire.
Autrefois, le sel conservait. “Vous êtes le sel de la Terre”.
Aujourd’hui, des invertis s’annoncent conservateur.
A inverser !