Laurent Grasso, The silent movie, 2010
Une sensation étrange vous prend quand vous pénétrez dans l'exposition de Laurent Grasso au Jeu de Paume (jusqu'au 23 septembre), celle d'une initiation, d'un danger latent et de mystères à découvrir. La scénographie de l'exposition est remarquable, peut-être promet-elle plus qu'elle n'offre en définitive. On entre dans un long couloir , on s'enfonce dans l'obscurité; ici et là, des fenêtres, ou plutôt des découpes dans les parois, aux bords abrupts, tranchants peut-être. À gauche, des images mouvantes indistinctes, des fragments d'image plutôt, dont on comprendra ensuite qu'elles sont le revers d'un écran, la vision impossible d'un film dont on ne saisit qu'une bribe, dont on ne peut lire les sous-titres inversés, dont on ne peut comprendre le sens; mais aussi ce sentiment magique d'être derrière l'écran, dans un monde autre, tremblant, tout près, trop près (je me souviens d'un film néo-réaliste italien semi-autobiographique où, enfant, le metteur en scène voyait les films projetés dans la salle de son village, dissimulé derrière l'écran; son titre ?). On passe ainsi de fenêtre en fenêtre : verdure, ciel bleu scintillant (ce n'est qu'ensuite qu'on comprend que celui-là est un recto, pas un verso), soleil couchant, et mer, tous les éléments du monde à cet instant là.
Laurent Grasso, Les oiseaux, 2008
L'autre paroi du couloir est aussi percée des mêmes ouvertures où on n'ose passer la tête, de crainte que les bords en soient coupants, mais celles-ci offrent des objets à distance, une profondeur physique et non plus scénique : des tableaux anachroniques comme Grasso les affectionne, des moulages de Bernard Palissy (dont je me souviens qu'il brûla son plancher pour alimenter son four à céramique), puis un long néon ('Visibility is a trap'), et enfin des livres et sérigraphies astronomiques. De l'autre côté, le dispositif est symétrique : à droite, des fenêtres sur le désert et la mer, à gauche une miniature persane 'modernisée', un livre de guerre, un objet de terre et de bois et la maquette d'une antenne Horn.
Laurent Grasso, On air, 2009
Cela en soi aurait déjà fait une belle exposition, et cela aurait peut-être suffi. Mais on ne peut manquer les couloirs qui mènent au cinq salles où sont projetés ses films, plus quelques autres objets. Ésotérisme, alchimie, surveillance, mystère, astronomie, on retrouve là les thèmes familiers de Laurent Grasso. Tour à tour, les extravagances du parc de Bomarzo, le tourbillon des étourneaux dans le ciel romain (a-t-il un sens ? Les Oiseaux), le cérémonial des obsèques de Jean-Paul II (filmées par un amateur, projetées sur une mauvaise télé et perturbées par le vent), l'observatoire de Tycho Brahé (images et musique new age, paroles délibérément inaudibles -script disponible à l'entrée- dites par une voix à l'accent épais - Tycho Brahé méritait mieux), le faucon-caméra de Sharjah (On air), et, visuellement le plus fort, des vues sur la mer près de Carthagène d'Espagne depuis les installations militaires camouflées sur la côte
Laurent Grasso, Specola Vaticana, 2012
(un sous-marin passe...; The Silent Movie, en haut). Quelques objets aussi, dont cette photo de Paul VI scrutant le ciel : "Dieu es-tu là ?"
Tous ces films sont essentiels au discours de Grasso et complètent fort bien son propos; certains sont très beaux, mais aucun ne recrée la sensation d'excitation et d'appréhension que le couloir avait engendrée chez le visiteur. On les regarde avec plus de distance, moins de vertige.
Photos 1, 2 & 3 courtoisie du Jeu de Paume. Laurent Grasso étant représenté par l'ADAGP, les photos seront ôtées du site à la fin de l'exposition.