... En 2008, les Services Secrets néerlandais ont inauguré leur tout nouveau site à la Hague. Après le 11 septembre, leurs effectifs avaient augmenté considérablement et il fallait un nouveau quartier-général plus vaste. Loi oblige, un pourcentage du budget de la création de ce nouveau bâtiment devait être alloué à une œuvre d'art. L'AIVD (les 007 bataves, donc) avait donc demandé dès 2005 à Jill Magid, artiste américaine très réputée (Yvon Lambert, Larry Gagosian et la Tate Modern, ça pose le niveau tout de suite) de concevoir une œuvre autour du thème : "Ce qui menace l'ordre démocratique". Jill ne s'est donc pas fait prier pour accepter le challenge et puis elle est comme tout le monde, il faut bien qu'elle mange. Elle leur demanda de l'engager comme Directrice du Service des Données Personnelles. Ce qu'ils acceptèrent après une enquète approfondie auprès de sa famille, ses amis, ses cousins proches et éloignés, sa concierge, son percepteur et sa sœur. Celle du percepteur.
Profitant de l'aubaine, Jill chercha à comprendre ce qu'étaient vraiment des services secrets et quel était leur fonctionnement. Son but : donner un visage humain à cette nébuleuse. Pas facile. Pendant trois ans, elle conduisit des interviews d'agents secrets dans des lieux quelconques, collectant des informations personnelles. Mais interdiction de prendre des photos ou d'enregistrer leurs conversations. Jill n'était autorisée qu'à prendre des notes sur un carnet.
Au fur et à mesure de l'avancée de ses travaux, plusieurs agents interviewés la recontactèrent pour lui dire qu'elle commençait à être dangereuse pour leur sécurité. Selon leurs propres mots, elle pourrait les "cramer", eux et leur couverture. Jill s'empara de l'idée et la prit au pied de la lettre. Elle sélectionna des phrases de description de ces agents notées dans son carnet et les fit reproduire en immenses néons rouges incandescents.
Quand elle souhaita par la suite publier le manuscrit qui relatait son expérience au sein de l'AIVD et dans lequel elle avait noté ses descriptions d'agents et alors qu'elle avait été engagée, choisie par eux et accueillie en leur sein par cette organisation, les services secrets confisquèrent une partie de ses écrits et tronquèrent par la suite 40% du livre "Becoming Tarden" que Jill écrivit pour relater son expérience.
Malgré cette censure sobre et efficace, le livre Becoming Tarden fut exposé à la Tate Modern en 2009 et 2010 mais de manière à ce qu'il soit inaccessible et surtout illisible par le public. Un accord arraché de haute lutte par Jill Magid auprès du Directeur de l'AIVD stipulant que "le livre serait présenté comme une œuvre d'art le temps d'une seule et unique exposition, après quoi le manuscrit serait dépouillé de toute information sensible, ne serait jamais publié et deviendrait la propriété permanente du gouvernement néerlandais". C'est clair au moins. La mort dans l'âme, Jill accepta les conditions. Le dernier jour de l'exposition, des agents arrivèrent avec un porte-document, prirent le manuscrit et s'éclipsèrent. Plutôt ironique d'engager un artiste avant de le censurer, non ?
En attendant que les services secrets lui rendent le livre ce dont on peut douter un chouya, vous pouvez toujours aller voir la nouvelle exposition de Jill Magid en ce moment et jusqu'au 26 juillet à la galerie Yvon Lambert. "The Status of the Shooter" est cette fois centrée sur l'histoire de cet adolescent en 2010 qui avait tiré à l'A-K47 à l'université du Texas avant de se faire sauter la tête. Jill Magid a demandé à la police l'accès au dossier, comme l'y autorise le Freedom of Information Act aux Etats-Unis. Elle a reçu un paquet avec les vidéos de caméra de surveillance, les enregistrements des appels d'urgence et d'autres éléments qu'elle met en scène sur cinq écrans avec un montage sonore et des éléments sculpturaux qui replacent le spectacteur au centre de cette terrible tragédie. Une expo à ne pas manquer, à n'en pas douter et à voir donc au 108, rue Vieille du Temple dans le IIIe.
Sources : Gaite-lyrique.net link et JillMagid.net link.
Images © Yvon Lambert.