» La peinture religieuse ne peut exister qu’en s’appuyant sur la nature, en creusant la nature, en arrachant au corps humain, à la figure humaine, sa ressemblance avec Dieu. Idéaliser, au sens chrétien, ne veut pas dire atténuer certains défauts, les cacher. Ces défauts, les vices mêmes, il faut, au contraire, les regarder bien en face et les disséquer jusqu’à ce que l’on y trouve le grain d’or sacré. C’est tout l’effort de l’artiste. »
» Chaque maître a trouvé une manière particulière de peindre. Ce qui est commun à tous, c’est une petite graine très mystérieuse que Dieu a cachée en eux, et qu’ils ont développée comme ils ont pu bien plus que comme ils l’ont voulu. »
» Il faut se résigner à cette constatation que l’art est une des manifestations les plus mystérieuses de l’humanité. La peinture ce sont des lignes et des tons auxquels on met une âme. Seuls les artistes peuvent faire ce miracle. C’est une sorte de présence réelle. »
» Jamais un artiste n’a songé à rejeter la beauté visible; mais il y a toutes sortes de beautés. Chaque œuvre d’art est un reflet, un rayon, un fragment de la divine perfection. Et ces beautés ne sont jamais découvertes par tout le monde. Il faut les lui montrer, à tout le monde, pour qu’il les voie. Il faut même souvent les lui imposer. Aux époques de foi, ces découvertes sont plus facilement admises, car elles sont sanctifiées par les divinités qu’elles représentent matériellement (ainsi s’explique la vogue d’un Greco); mais aux époques comme la nôtre, le conflit est bien plus violent. C’est la nuit complète. Et, si d’aventure quelque pauvre artiste, quelque pauvre croyant, veut tirer quelque malheureuse étincelle de son briquet, la surprise est telle que l’on crie à l’attentat. Le petit éclat brillant donne l’effet d’une bombe. Si un artiste ne peint pas les Vierges avec l’onction de pinceau de M. X…, ou les Christ avec le style de M. Y…, on le traite d’extravagant, et on lui reproche de ne pas s’appuyer sur les » communes ressources de l’art « . »
» Le visage authentique du Christ ne m’intéresse pas, le pittoresque historique. Le véritable Christ, c’est dans notre cœur que nous le trouvons. Nous sommes en lui, il est en nous; si nous sommes bien vrais, nous ne pouvons pas le trouver ailleurs. On m’a reproché de lui donner ma ressemblance, mais c’est fatal. »
***
» En un mot, l’éducation religieuse s’appuie bien moins sur l’amour du bien que sur la peur du mal.
La peur. L’un des visages du démon.
Est-ce que les Apôtres avaient peur du mal ?
Est-ce que les Docteurs avaient peur de la controverse ?
Est-ce que les martyrs avaient peur des coups ?
Aujourd’hui si l’on ne donne plus de coups, c’est surtout que l’on n’aimerait guère en recevoir.
Aujourd’hui on interdit les mauvaises lectures, c’est bien; mais fait-on de bons livres ? Ce serait mieux. Et ainsi à fuir éperdument le mal, on fait moins passionnément le bien.
Il en va de même au point de vue artistique. Dans les écoles officielles, les professeurs font une telle chasse aux… défauts, que les qualités qui ne peuvent se présenter que toutes imparfaites chez les jeunes gens se trouvent invariablement fauchées, dès leur apparition. Ces maîtres oublient la parabole de l’ivraie, qu’il faut laisser librement pousser pour en faire plus sûrement le départ un jour sans risquer de perdre les fruits de la bonne semence.
D’ailleurs tout est si profondément bouleversé dans le domaine des arts, que c’est parmi les peintres » les plus avancés « , les moins croyants, que nous retrouverons la trace des règles plastiques qui ont fait la grandeur de nos ancêtres.
Ces règles que les besoins de leur foi, les exigences de la construction, ont fait découvrir aux artistes du Moyen Âge, elles se retrouvent aujourd’hui aux mains de certains intransigeants » cubistes » ou autres.
Mais ces artistes ne savent pas employer leur trouvaille. Ils ont beau retourner en tous sens la graine rencontrée dans la vie, ils ne pourront l’amener à fleurir; ils ignorent qu’elle n’atteint son complet développement qu’au contact chaud des âmes chrétiennes. Et ces chercheurs s’égarent la boussole en main, ces malades se meurent en serrant dans leurs doigts affolés le remède à leurs maux…
Cependant que nous, pauvres catholiques anémiés, sans boussole et sans remède, nous agonisons perdus dans les fumées d’une sensiblerie qui caresse notre égoïsme, contente notre imagination, tout en négligeant la gloire et l’amour de Dieu. »
Georges DESVALLIÈRES (1861-1950), peintre français.
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