France : Chronique d'un krach obligataire annoncé d'avance

Publié le 12 juillet 2012 par Copeau @Contrepoints

La France a emprunté pour la première fois à des taux négatifs, comme l'Allemagne. Cela signifie-t-il que le pays est sorti de l'ornière, ou bien faut-il encore craindre un krach obligataire proche ?

Par Fabio Rafael Fiallo.

AFT / Agence France Trésor, l'agence publique qui gère la dette française

Voilà déjoués, nous dit-on, les pronostics des Cassandres et autres Georges Soros qui annonçaient une attaque des marchés financiers contre les obligations d’Etat de la France après l’arrivée de François Hollande à la présidence de la République. Voilà, autrement dit, les marchés plébisciter la politique du nouveau locataire de l’Elysée, prêtant à la France à des taux négatifs, ce qui veut dire qu’ils paient une prime pour pouvoir acheter des obligations de l’Etat français. La France fait désormais partie de la catégorie des bons élèves, où se trouvaient déjà l’Allemagne et une poignée d’autres pays européens. Tout baigne donc à Paris...

Vraiment ? Pas si sûr. Car dès que l’on gratte un peu, on s’aperçoit que cette remontée des obligations d’Etat de la France ne veut pas dire que le pire est derrière nous, qu’un krach obligataire n’est plus à l’ordre du jour.

Pour comprendre le danger qui guette, il convient de rappeler d’emblée un fait bien connu : tout krach, que ce soit boursier, monétaire ou obligataire, est précédé d’une embellie des titres concernés. C’est le propre d’un krach que d’entraîner un revirement subit et brutal d’un marché haussier.

C’est pourquoi il vaut mieux évaluer dans quelle mesure, et dans quelles conditions, cette bonne tenue des obligations françaises a vocation à perdurer ou si, au contraire, elle pourrait déboucher sur une hausse brusque et profonde des taux d’emprunt de la France et finir dans un krach obligataire.

N’oublions pas que les banques et les grands fonds d’investissements opèrent par vagues. Tant qu’ils s’attaquent à certains marchés, en l’occurrence aux obligations espagnoles et italiennes, vendant celles-ci ou exigeant des taux trop élevés, ils tentent de placer leur argent dans des titres plus sûrs, ou en tout cas présentant à leurs yeux un risque moins imminent, telles les obligations du Trésor américain ou celles des pays du nord de l’Europe et de la France.

Mais tout peut changer du jour au lendemain. On l’a vu dans le cas des « subprimes » en 2007, lorsque, après avoir atteint le septième ciel, le prix de l’immobilier aux USA s’effondra vertigineusement, donnant lieu à la crise financière que l’on sait. On l’a vu, également, à l’époque du fameux « serpent monétaire européen » (lequel fixait une fourchette pour les taux de change entre les différentes monnaies européennes), quand les marchés s’attaquaient à tour de rôle aux différentes devises européennes.

Au début des années 90, juste avant l’effondrement du serpent monétaire européen, les marchés s’étaient mis à privilégier la lire italienne. Non que l’économie italienne fût à l’abri de tout danger, mais les marchés préféraient acheter des obligations italiennes plutôt que celles de pays à plus haut risque, tels le Portugal, la Grèce ou l’Irlande. Cela n’empêcha pas l’Italie de se faire attaquer à son tour, amenant à la dégringolade de la lire qui – avec celle de la livre sterling – culmina dans la mort du serpent[[1. Voir « The sovereign-debt crisis has echoes of the ERM debacle », The Economist, 14 juillet 2011.]].

Aujourd’hui, la France se trouve, dans le marché des obligations, dans une situation qui rappelle celle de l’Italie dans le marché des monnaies à l’époque de la crise du serpent monétaire européen.

Pour le moment, les marchés achètent des obligations françaises pour deux raisons : d’abord parce que, contrairement à l’Espagne et à l’Italie, la France n’est pas en récession ; ensuite, parce que les marchés donnent au gouvernement français le temps de tenir son engagement de réduire le déficit budgétaire à 3% du PIB en 2013.

Mais c’est justement cette double situation, avantageuse pour la France, qui pourrait soudain voler en éclats.

Une série d’études tendent en effet à prouver que, pour réduire le déficit budgétaire, la hausse d’impôts a des effets plus négatifs sur l’économie d’un pays que la baisse des dépenses publiques[1]. Or la hausse d’impôts est la voie choisie par la France pour réduire son déficit.

Qu’arrivera-t-il si le ralentissement de l’économie française, avec la baisse des recettes fiscales que cela implique, met les objectifs pour 2013 hors de portée ? Le gouvernement persistera-t-il sur la voie de la hausse des prélèvements, ce qui l’amènera à plomber davantage encore la compétitivité et l’économie de la France ? Ou se décidera-t-il à tailler massivement dans les dépenses publiques, au risque de mettre les syndicats et les mouvements de gauche dans la rue ?

Confronté à ce choix cornélien, les autorités françaises pourraient sortir de leur poche une solution de rechange, que voici : décider de ralentir la résorption du déficit budgétaire en mettant la réduction de celui-ci à 3% du PIB pour après 2013.

Le fait que le ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici, se soit empressé de se réjouir du délai supplémentaire accordé par Bruxelles à la résorption du déficit espagnol, montre qu’une telle idée fait son chemin à l’Elysée et Matignon. Forte du précédent espagnol, la France pourrait se croire en mesure de s’accorder, le moment venu, un délai plus long pour atteindre les objectifs initialement fixés pour 2013.

C’est alors que, percevant le spectre d’une récession et les promesses de réduction de déficit budgétaire non tenues dans le temps, les marchés pourraient sévèrement attaquer les obligations de l’Etat français, réclamant des taux d’intérêt étouffants.

Voilà donc, malgré les taux d’emprunts négatifs d’aujourd’hui, le scénario d’un futur krach obligataire français.

---

Pour approfondir sur le sujet : Taux d’intérêt des dettes souveraines européennes : une baisse illusoire 

  1. Cf. Alberto Alesina et Silvia Ardagna, « Large Changes in Fiscal Policy: Taxes versus Spending »; et Paulo Mauro (collectif), « Chipping away at public debt ».