"The Killer" de John Woo sur grand écran, enfin ! Enfin... presque...

Par Tred @limpossibleblog

John Woo sur grand écran, enfin ! Enfin... presque..." title=""The Killer" de John Woo sur grand écran, enfin ! Enfin... presque..." /> Cette projection du film culte de John Woo, « The Killer », au cinéma Les Trois Luxembourg dans le cadre du Festival Paris Cinéma fut des plus étranges. Assurément, elle restera comme l’une des plus frustrantes de ma vie. Si le retard du projectionniste m’a permis de profiter d’une conversation amusante entre deux spectateurs qui ne se connaissaient pas, il a surtout été le signe avant-coureur d’une séance… pas catastrophique mais presque. En préambule aux déboires de la projection proprement dite, je ne peux m’empêcher de retranscrire la conversation entendue alors qu’installés dans la salle, nous attentions le lancement du film. Un spectateur assis presque juste derrière moi en interpela un autre assis derrière lui (belle symétrie n’est-ce pas ?). Les amateurs de John Woo (et par extension, de Johnnie To) apprécieront.
« Vous l’avez déjà vu ? (parlant de The Killer) - Oui il y a longtemps mais jamais au ciné. - Vous savez, il est sorti en France qu’en 95 mais il date de 89. - Oui oui, je sais… - Il a mis du temps à cause de la censure, en France ils trouvaient ça trop violent. Là c’est la version courte qui passe. Parce que vous savez il y a une version  longue qui existe, avec plus de fusillades et de sentiments. - D’accord… - Et vous aimez John Woo alors ? - Pas les derniers, mais les autres oui. - Oh vous avez pas aimé « Trois Royaumes » ? - Ah si c’est l’exception celui-là. La version longue est vraiment bien. - Wouah vous avez vu la version longue ? C’est comment ? - Les personnages sont beaucoup plus développés. Dans la version cinéma on sentait bien que c’était tronqué, là c’est nettement meilleur. - Et votre John Woo préféré, c’est quoi alors ? - Bah, The Killer je pense… - Ah oui, mais y a « A toute épreuve » aussi. Mais c’est vrai que « The Killer » c’est celui qui l’a fait connaître à l’étranger. - Malheureusement oui… après il est allé faire ses films aux États-Unis… - Ah bon vous n’aimez pas ses films américains ? Volte/Face ? - Bon y a Volte/Face… mais le reste… - Windtalkers vous l’avez vu ? - Non celui-là je l’ai pas vu… juste des bouts à la télé… - Oh il est génial celui-là Windtalkers faut que vous le voyiez ! Et vous avez vu Mission Impossible 2 ? - Ah oui je l’ai vu, c’est vraiment pas terrible… - Ah non moi j’adore !!! Et « Chasse à l’homme ? - Oui il y a quelques années… c’est efficace disons. - Moi j’ai vu la Director’s Cut sur Internet elle est super ! - Ah bon je savais pas qu’il y en avait une. - Bah si vous voulez, vous allez sur Internet, vous tapez « Hard Target » c’est le titre américain, « Director’s Cut » et « Deleted Scenes ». - Ah mais il n’existe pas un montage de la director’s cut ? - Si mais je sais plus comment je l’ai vu… Ah et sinon vous l’avez vu « Une balle dans la tête » ? Celui-là aussi j’aimerais voir la Director’s Cut. Au départ le montage de John Woo durait 4 heures, mais la censure trouvait ça trop long, mais c’est son film le plus personnel. Avec « Le syndicat du crime ». Et « The Killer ». - Tiens sinon y a pas une nuit Johnnie To à Paris Cinéma en ce moment ? - Peut-être… en fait j’aime pas trop Johnnie To. J’ai vu « The Incident », son dernier, c’était pas mal mais sinon…
C’est à peu près à ce moment-là, alors que notre fan de John Woo nous inventait le titre d’un Johnnie To, que les choses ont commencé à bouger dans la salle. J’aurais dû me douter qu’un dialogue aussi spontané, passionné et néanmoins drôle annonçait une séance pas comme les autres. J’aurais aimé que le souvenir mémorable qui restera associé à cette projection le soit pour des raisons artistiques. Cela aurait dû être le cas. Imaginez donc, ma découverte de « The Killer » de John Woo avec tant d’années de retard, sur grand écran et en 35mm ! L’hommage de John Woo à Jean-Pierre Melville et son Samouraï, ça allait être grandiose, forcément. Ce fut ubuesque et frustrant. Surtout frustrant.
Le retard pris par la projection aurait été oublié, finalement, si rien n’avait contrarié les deux heures suivantes. Le film démarra avec une vingtaine de minutes de retard, c’est fatigant mais lorsque c’est pour un film comme The Killer, on oublie l’attente dès lors que le film commence et l’on se plonge dans les exploits sanglants et néanmoins héroïques de Chow Yun Fat en tueur à gages qui a le sens de l’honneur et de la justice. Mais après des années d’attente, c’est donc la frustration qui a triomphé. Malgré une copie un peu fatiguée mais tout à fait acceptable, le film nous a transporté moi et mes congénères spectateurs 1h30 durant, au-delà de certains tics du cinéma d’action des années 80 qui peuvent aujourd’hui prêter à sourire (les mecs qui font des roulés boulés à tout bout de champ que ce soit pour tirer ou se déplacer, c’est bon). Et puis tout à coup, la tuile. La grosse tuile.
Le final du film commence, le dernier quart d’heure, la dernière bobine. Un son étrange retentit, l’image tressaute. Un bourdonnement incessant se faire entendre et remplace les dialogues. Les sous-titres s’affichent dans le mauvais sens et sont illisibles. Le film continue, mais il est impossible pour nous de le suivre. Cela dure ainsi trois ou quatre minutes, jusqu’à ce que le projectionniste, prévenu par un spectateur, interrompe la projection et rallume la lumière. J’en entends déjà certains dire « Il faut qu’il repasse toutes les scènes qu’on a raté quand ce sera réparé ». Mais c’était une remarque bien trop optimiste.
La réalité s’est faite jour quelques instants plus tard, lorsque le projectionniste est entré dans la salle : « Bonjour, comme vous avez pu le constater, il y a un problème avec la copie du film. Ce n’est pas de notre fait, elle nous a été fournie comme ça, la dernière bobine est montée à l’envers. Je vais faire mon possible pour essayer de réparer ça pour les prochaines séances (le film était programmé toute la journée aux Trois Luxembourg et notre séance était la première de la journée)… mais je suis vraiment désolé, on ne peut pas vous projeter la fin du film maintenant ».
De grands soupirs se sont alors fait entendre, des « Mais on fait comment alors ? », des demandes de remboursements et des « Mais comment ça se termine ?! » à quoi le projectionniste a délicatement répondu « Ça finit mal je crois, ils meurent tous ». Des spectateurs donnèrent plus de détails, mais je ne les entendais déjà plus. Je suis remonté vers le monde extérieur frustré, agacé, triste, j’ai croisé les autres spectateurs faisant la queue pour se faire rembourser. Je les ai dépassés sans un regard. Mon rêve de découvrir « The Killer » sur grand écran venait de s’écraser dans la dernière ligne droite et mourir.