L’Opportun par Patrick Faus
: cuisine banale
: cuisine d’un bon niveau
: cuisine intéressante et gourmande
: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux
: cuisine exceptionnelle
Longtemps, Serge Alzerat fut un « personnage » de la scène gastronomique et bistrotière de la capitale. Un personnage étant une personne qui se donne un rôle dans la vie, comme le veut une des dernières acceptations du terme qui remonte tout de même au 15ème siècle. Il avait choisi, ou peut-être était-il vraiment, celui de l’homme rond, imposant par le physique et le ton de la voix, convivial, accueillant, bon vivant, aimant les choses simples et nourrissantes et surtout faisant peu de cas des modes et des tendances du jour ou de la semaine. Pour lui, une entrecôte se devait de déborder de l’assiette, l’entrée ressembler à un plat principal, et avait instauré la générosité comme règle d’or du bien vivre et du savoir recevoir. Les gros mangeurs et autres festoyeurs en avaient rapidement fait leur cantine sinon leur lieu de rendez-vous et de perdition, rapport aux normes de la santé qui n’étaient pas encore triomphantes. Jacques Chirac, alors président, était venu dîner avec José-Maria Aznar, alors Premier ministre espagnol. Heure de gloire… Les beaujolais et autres mâconnais étaient présents sur toutes les tables et les hommes de l’ordre n’attendaient pas au coin de la rue. Autre temps, autres moeurs. Qu’a t-on gagné dans le retour en force du moralisme sanitaire ? L’avenir le dira.
Et Serge dans tout ça ? Il a traversé les tempêtes et contourné tant bien que mal les écueils et les doigts accusateurs pointés sur sa cuisine qui maintient contre vents et vaguelettes une certaine conception de la nourriture nourrissante. Aller manger chez Alzerat aujourd’hui est du même désordre que d’aller voir une prostituée ou rouler à 132 km/h sur l’autoroute. Une folie amorale qui mérite d’être punie !
Mais finalement, être puni à son charme sinon ses délices. Par contre, ce qui n’est pas convenable, c’est d’être puni par la qualité des plats que sert Serge. Le passé mérite le respect. On ne joue pas avec nos souvenirs. Certes, l’homme n’a pas changé et le retrouver est un plaisir sans nom, une bouffée de bonheur. La salle, ouverte sur la rue et donc à tous, est toujours aussi accueillante. Les Œufs en meurette dit aussi œufs en couille d’âne (on vous avait prévenu !) sont encore copieux et délicieux sinon délicats. La Salade de peaux de canard est honnête mais l’Assiette bistrot pèche par des poireaux vinaigrette fades et des œufs mayo trop cuits et servis trop froids, sans parler du museau vinaigrette. Le Ris de veau est acceptable mais quelle idée saugrenue de le marier avec des salsifis informes. Le Rognon de veau est tellement énorme qu’il pourrait impressionner les plus gros mangeurs sans leur donner une quelconque satisfaction au niveau du goût. Joker pour la Crème brûlée en dessert.
Le service est adorable, l’ambiance joyeuse et Serge trône. La carte des vins est riche des régions et appellations autour de Lyon à des prix convenables. Possibilité de prendre des demi-portions ce qui est franchement conseillé ! L’Opportun est une espèce en voie de disparition et une espèce en voie de disparition ça se protège. Alors, protégeons Serge Alzerat. Finalement il l’a bien mérité, si ce mot a encore un sens.
L’Opportun
62, boulevard Edgar-Quinet
75014 Paris
Tél : 01 43 20 26 89
M° : Edgar-Quinet
Fermé dimanche
Menu : Le Mâchon à 25 € (entrée, plat, dessert)
Carte : 50 € environ
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