Si la publicité existe, c’est donc bien qu’elle marche… mais à faire quoi exactement ? Si elle est rentable, cela veut donc dire, pour tout élève assidû de ces cours de praxéologie, que la publicité crée de la richesse. Ce qui nous intéresse, c’est le comment, et la nature de cette richesse.
Par J. Sedra.
Publicité pour Ryanair, spécialiste des publicités décalées
Cela faisait trop longtemps que l’on n’avait pas eu de cours de praxéologie aléatomadaire, il me faut donc chaudement remercier H16 d’avoir aujourd’hui écrit sur l’utilité de la publicité avec la pertinence, l’humour et le talent qui me le font (pas si) secrètement jalouser.
Car, cela nous fait un sujet tout trouvé : si la publicité existe, c’est donc bien qu’elle marche… mais à faire quoi exactement ?
Commençons par l’évidence : la pub, ça marche généralement pour l’annonceur. Il n’est pas dur de trouver des preuves, chiffres à l’appui, prouvant que les campagnes publicitaires entraînent de manière assez fiable une augmentation des ventes, et donc une augmentation des profits qui fait souvent plus que compenser le coût de l’annonce. En bref: la pub est généralement rentable.
Si elle est rentable, cela veut donc dire, pour tout élève assidû de ces cours de praxéologie, que la pub crée de la richesse. Ce qui nous intéresse, c’est le comment, et la nature de cette richesse.
Pour certains fluffies dénoncés par H16, la pub pourrait forcer certains d’entre nous, par quelque (forcément) mystérieux procédé psycho-cognitif jalousement gardé par leurs (forcément) nombreux et talentueux experts ès-manipulation des foules, à acheter contre leur volonté. C’est assez curieux car alors, je me demande pourquoi tout le monde ne le fait pas: s’il suffit d’employer la pub pour obliger les gens à vous donner leur argent, pourquoi existe-t-il tant d’autres méthodes marketing, pourquoi ne pas continûment faire des campagnes, et pourquoi par exemple les partis politiques ne font-ils pas beaucoup plus de pub (surtout hors période d’élection) ? Pourquoi n’y a-t-il pas plus de retours et de demandes de remboursement, et enfin pourquoi (à ma connaissance) personne n’a jamais porté plainte (et encore moins obtenu gain de cause) contre ce qui constituerait pourtant un horrible et abject acte d’asservissement ?
Cela fait quand même pas mal d’hypothèses difficiles voire impossibles à démontrer, à introduire pour faire tenir la théorie de base de ces gens, à savoir que la richesse créée par la pub serait entièrement prise aux acheteurs compulsés. Appliquez le principe de base de la création de richesse : dans un échange forcé, il y a destruction de richesse pour l’acheteur qui se retrouve avec un bien moins intéressant que l’argent qu’il a dû payer en échange, tandis que le vendeur par compulsion gagne en richesse une partie de cette différence. Globalement, dans cette interprétation, la publicité serait destructrice nette de richesse mais bénéficierait quand même un peu aux annonceurs. Conclusion étrange… et surtout assez peu compatible avec la réalité, car si c’était vrai, alors une richesse totale supérieure à la valeur entière de compagnies se basant sur la pub pour se financer (amazon, google, youtube, facebook, etc.) devrait avoir été déduite du reste de l’économie. Ce n’est pas ce que l’on observe : ces compagnies ont ajouté considérablement à la richesse totale du monde, plutôt que l’inverse…
Cette théorie de “la pub force des achats non-voulus ou non-nécessaires” est donc fausse, par l’une ou l’autre de ses prémisses… et notre question reste entière : comment la pub peut-elle donc créer de la richesse ? Après tout la pub n’a d’autre effet que de transporter des informations… c’est difficile d’imaginer comment cela peut, comme ça *pouf*, créer de la richesse.
J’ai bien une explication, qui ne nécessite aucune hypothèse ad hoc supplémentaire et que je juge donc plus crédible et plus élégante que celle ci-dessus. De plus, elle est compatible avec le constat de l’apport indéniable en richesse qu’ont pu constituer toutes ces grandes compagnies de services gratuits mais portés par de la pub, emblèmes de l’ère Internet.
Puisque la pub est un simple transfert d’informations, j’ai l’intuition qu’il faut aller voir du côté… des coûts de transaction, cette fameuse entropie de l’échange dont nous avons déjà abordé plusieurs fois les conséquences en matière d’organisation de la production, d’apparition de nouveaux marchés, etc.
Nous savons qu’un échange librement voulu et réalisé, crée de la richesse pour les deux côtés de cet échange. Cela veut donc aussi dire qu’un échange qui ne se produit pas ne crée pas de richesse. Et nous savons aussi que les coûts de transaction sont la barrière à franchir pour passer de “pas d’échange” à “échange”. La première et plus évidente de ces barrières… c’est de savoir que l’autre partie existe et que l’opportunité d’échange existe. Pour l’acheteur, ne pas savoir que le vendeur et son offre existe revient exactement au même que s’il n’existait tout bonnement pas. Plus avant, une autre barrière purement informationnelle, c’est de connaître les conditions de réalisation de cet échange. Avant l’offre, c’est pas l’offre, et après c’est trop tard, par exemple.
Bref, une bonne part des coûts de transaction qu’il faut payer pour parvenir à créer de la richesse dans un échange librement consenti… sont de nature informationelle. Et c’est exactement ce type de coûts que, par la pub, le vendeur se propose de payer à votre place. Pour dire les choses le plus clairement possible : en s’appuyant sur la spécialisation et la séparation du travail, la publicité permet de s’acquitter à beaucoup plus bas coût des barrières à franchir pour échanger de manière profitable.
Et c’est ainsi que la publicité crée de la richesse : en évitant une grande part de perte de richesse en coûts de transaction lors des échanges. C’est pour cela que la pub peut être rentable, c’est pour cela que la pub fonctionne et n’est pas juste un coût en plus, c’est pour cela que la pub améliore l’efficacité des échanges : en économisant une part de la richesse qui sinon disparaîtrait en efforts et temps requis pour réaliser des échanges profitables. Rapporté à l’échelle de l’économie mondiale, et voyant les sommes dépensées en pub (dizaines voire centaines de milliards de dollars, si je me souviens bien), cela veut dire que l’économie correspondante, en coûts de transaction évaporés, constitue une quantité assez phénoménale de ressources non-gaspillées.
J’espère que c’est assez clair.
Poussons un peu plus loin cette interprétation, à la lueur de certain célèbre commentaire de M. Mougeotte, cadre haut-placé de TF1. Quand il dit qu’il vend à Coca Cola ou quelque autre annonceur du “temps de cerveau disponible”, c’est rigoureusement exact et cela colle avec ma théorie ci-dessus. Simplement, pour obtenir ce temps il doit “l’acheter” à ses spectateurs en échange (libre !) d’émissions qui les intéressent. On peut discuter de l’adéquation de cette offre-là avec vos besoins personnels ou les miens, cela ne change rien à l’affaire… Cela fait de lui un “broker” de temps d’attention, qui se fait payer par une commission sur la richesse créée par la pub.
Continuons l’analyse: si cette théorie est vraie, alors quelle limite y a-t-il à la quantité de pub que le marché peut absorber ? Quel forme d’équilibre dynamique trouve-t-on entre les annonceurs, les consommateurs, et la clique de brokers entre les deux ? Comme vu juste au-dessus, le spectateur échange une part de son attention contre le loisir de regarder les émissions qui l’intéressent. Il peut choisir de s’arrêter, il répartit librement cette ressource en quantité finie qu’il possède (son attention).
Illustrons: quand Allocine intercale de brèves pubs avant les bandes annonces, ils ne peuvent pas en mettre n’importe quelle dose – quelques secondes sont apparemment OK pour la plupart de leurs lecteurs, mais quelques minutes seraient probablement inacceptables. De même, combien d’entre nous n’ont jamais coupé le son et détourné les yeux pendant des coupures pub à la TV, ou bien ne sont jamais allés aux toilettes avant le film au cinéma pendant les réclames, etc… ? Bref, il se fait un arbitrage au niveau du spectateur / cible, qui inconsciemment évalue ce qu’il gagne comme économies en coûts de transaction, face au temps passé (et à la distraction voire l’énervement que ça peut lui procurer).
Il reste une forme de richesse que la pub peut créer, que nous n’avons pas encore abordé : ce que l’on appelle “l’image de marque”. Toutes les publicités ne se bornent pas qu’à signaler l’existence d’une offre, elles servent aussi beaucoup à la caractériser, la rendre attractive voire même séductrice, et à bâtir une réputation (pas forcément justifiée, OK, mais comme ça marche dans les deux sens on ne peut pas en tirer de jugement sur la valeur de la pub en général). Cependant, on peut noter que cette richesse-là bénéficie exclusivement à l’annonceur – ce qui explique que l’on puisse trouver de la pub qui ne signale aucune offre et ne fasse que vanter des valeurs (parfois très floues il faut bien admettre): à l’extrême de cette tendance on peut trouver… la propagande idéologique, qui ne signale aucune offre commerciale, ne vante les mérites d’aucun produit ni ne caractérise aucune marque, mais promeut simplement un mode de pensée voire une grille de lecture du monde, en anglais “a narrative”. Ce type de publicité, donc, ne génère aucune richesse pour celui qui la perçoit, mais uniquement pour celui qui la diffuse…
Voilà, ce cours est terminé, pour la prochaine séance à vous d’identifier des exemples des deux extrêmes de réclame: une signalant un produit sans caractérisation, et l’autre sans produit ni marque.
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