[note de lecture] "Fiscus Christus" de Jérôme Mauche, par Vianney Lacombe

Par Florence Trocmé

               déterminés socialement comme nous l’étions à l’indétermination…(p. 78) 

 
Les petits blocs de prose de 4 lignes qui composent la première partie de Fiscus Christus trouvent leur écho dans les ouvres du peintre Loïc Raguénès qui ornent le livre de Jérôme Mauche. Images d’un réel à peine discernable, réalisées avec une trame monochrome sur un fond blanc qui réduit au silence toute expression, toute différence pour ne laisser subsister qu’une série de points qui deviennent  la matrice du spectacle total du monde, un monde indifférencié de points interchangeables. 
Les textes de Jérôme Mauche nous parlent de l’oubli de nous-mêmes et de la jubilation avec laquelle nous accueillons cette perte d’identité au profit de celle d’un autre qui est n’importe quel autre, c’est-à-dire rien, un élément sans valeur qui peut être déplacé au commencement ou à la fin du texte, puis coupé, recollé sur l’ordinateur et soumis à la césure qui l’interrompt  sans jamais le réactiver puisque de nombreux  autres éléments restent sans cesse disponibles pour être collés, d’autre propositions intéressantes, ludiques, passionnées sans passion, joyeuses et tristes à la fois, l’essentiel étant de maintenir un rythme incontrôlable mais contrôlé qui nous assure que tout reste bien sous contrôle et que le nombre de lignes occupées permet d’en inscrire d’autres qui postuleront à la même place, dans le même espace, qui est un vide, un désert sans obstacle, puisque tout est accompli avant même que le départ commence. 
 
Pas d’importance la vie c’est une cuirasse soucieuse de chaque 
matin accrochée épanouie brève apposée ce soir demain 
fanera pieds nus cheveux lâchés le tronc gris dépourvu de  
branches de coupes et de statuettes aussi. (p. 44) 
 
Car les objets donnés réciproquement soit par l’homme à la 
femme soit par celle-ci comme prix de leurs rapports même 
s’ils n’ont pas été vus révèlent et à leurs légitimes méfiez- 
vous son. (p.72) 
 
À la différence des textes courts de la première partie , la seconde partie de Fiscus Christus est composée d’un récit dans lequel l’absence de nous-même est rendue visible par l’importance accordée dans le texte à un yaourt, avec ses caractéristiques, son goût, son importance sur la table familiale du narrateur, son histoire et sa composition, l’effet produit par son apparition  lorsque le soir tombe et que chacun prend sa cuillère, la consternation de constater qu’il n’est pas possible de consommer avec la même personne au même moment le même yaourt, et cette personne, ce narrateur est peu à peu contraint d’abdiquer sa propre présence au profit de celle du yaourt qui a acquis une légitimité plus grande en devenant un objet plus désirable et nécessaire que l’homme dans le monde contemporain. 
Cette privation de sens de toute existence humaine est notre réalité actuelle et le travail de Jérôme Mauche montre avec un humour terrible qu’il n’existe plus de place pour nous, mais seulement pour des notices d’utilisation précises et détaillées, des processus d’accomplissement qui ne souffrent pas d’être perturbés par des interventions humaines. La précipitation que jette Jérôme Mauche dans ses textes répond à la nécessité de recouvrir le vide qui nous compose avec un tissu littéraire compact qui nous permet d’oublier que nous ne sommes plus là pour répondre. 
 
[Vianney Lacombe] 
 
Jérôme Mauche 
Fiscus Christus 
Avec des œuvres de Loïc Raguénès 
Editions Le Bleu du ciel 
78 p.- 15€