Je me souviens de la venue triomphalement mise en scène de Nicolas Sarkozy et David Cameron à Benghazi sitôt le colonel Kadhafi abattu. L'ancien Monarque de Sarkofrance était ravi. Et certains journalistes français épuisés et écoeurés par la durée du périple (une trentaine d'heures) et la débauche de moyens pour une poignées d'heures et beaucoup de photos sur place. Ce voyage avait été improvisé le jour même du premier débat des primaires socialistes. Il ne fallait pas y voir une quelconque coïncidence. Tout avait été orchestré, et c'était de bonne guerre.
On savait depuis quelques temps déjà que Nicolas Sarkozy était personnellement loin d'être blanc comme neige avec la Libye de Kadhafi. Bien sûr, comme d'autres chefs d'Etat, sa politique irréprochable s'arrêtait rapidement là où la real-politik avait ses exigences. Dès 2007, nous savions combien Kadhafi allait être le nouveau grand ami de Sarkozy. Mais ce dernier, quand il était ministre de l'intérieur, s'agitait beaucoup en Libye pour favoriser la vente de matériel d'espionnage français à l'une des pires dictatures du continent. Le contrat avait valu une légion d'honneur au patron du fournisseur français, remise par Sarkozy en juillet 2011. Pour l'aider, son directeur de cabinet Claude Guéant, son ministre délégué aux collectivités locales Brice Hortefeux et le grand ami de Jean-François Copé Ziad Takkiedine avaient multiplié les contacts et les rencontres en 2005-2007. Les rumeurs de financement politique illégal restent aussi très fortes.
Une autre nausée nous prit quand on apprit comment le gouvernement Sarkozy s'était essayé à vendre la technologie nucléaire française jusqu'à l'automne 2010.
Mais revenons à Benghazi, ce 15 septembre 2011. Nicolas Sarkozy se réjouissait et nous avec lui de la chute de l'ancien régime. Cette guerre pour détruire un sinistre régime fut soutenue par un relatif consensus (jusque dans les colonnes de du blog Sarkofrance et de ses Coulisses). Au moment de cette venue de Sarkozy à Benghazi, nous écrivions alors:
Il y avait tout de même une relative urgence à venir en Libye. La situation politique est loin d'être stabilisée. Nul ne sait de quoi l'avenir sera fait. Le pays peut basculer. Il n'est pas encore sécurisé, le clan Kadhafi court toujours. Le gouvernement libyen n'est pas formé. Le Monarque fut acclamé aux cris de Allah Akbar. Reviendra-t-il dans quelques mois si le régime vire islamiste ? Il n'a promis aucun accompagnement politique du nouveau pouvoir.Ce samedi 7 juillet, la Libye votait, enfin, pour élire des députés. Le climat était tendu, notamment à Benghazi. Des résistants locaux s'opposaient au nouveau pouvoir central, basé à Tripoli. Les Fédéralistes, comme on les appelait, réclamait un régime plus décentralisé. On a craint un instant que leur frange radicale s'oppose par les armes à la tenue du scruti. Mais finalement, il n'en fut rien. La participation fut estimée à 60%. A l'heure où nous écrivons ces lignes, le dépouillement se poursuit toute la semaine. Un peu moins de 2 millions de personnes (sur 2,8 millions d'inscrits) sont allés voter.
Mieux, la branche locale islamiste tant redoutée reconnut sa défaite. Les libéraux de l'Alliance des forces nationales seraient en bonne posture. A ce stade, c'est sans doute réjouissant, même s'il faut rester prudent. La France a salué « le bon déroulement général des élections en Libye, en dépit de quelques incidents.» Le gouvernement Hollande/Ayrault « souhaite souligner la détermination des autorités de transition qui, malgré les multiples obstacles, ont pu organiser ce scrutin dans les délais qu’elles s’étaient assignés.»
La charia sera vraisemblablement inscrite dans la Constitution, compte tenu du large consensus sur la chose au sein de quelque 150 partis du pays.
Mais les Libyens ont voté. Comme les Egyptiens et les Tunisiens.
Bravo !