Un salon comme un autre, par tradition.
Nous n’aurions pas osé nous aventurer sur cette voie, formuler un tel commentaire au ton profondément dubitatif : pourquoi visiter le salon de l’aéronautique de Farnborough ? Il est installé au cœur d’une morne plaine à une cinquantaine de kilomètres de Londres, que l’on rejoint, aussitôt l’autoroute quittée, par des routes trop étroites, embouteillées comme seules peuvent l’être les lointaines banlieues anglaises.
Murdo Morrison, rédacteur-en-chef du très respectable hebdomadaire Flight International, qui adopte rarement un ton aussi acerbe, énumère de solides interrogations. Le salon se tient en juillet (jadis, c’était en septembre), c’est-à-dire, J.O. mis à part, au début de la haute saison touristique, les tarifs hôteliers sont alors à leur plus haut niveau, les contrôles de sûreté omniprésents, la météo est évidemment imprévisible. Dès lors, pourquoi se perdre ainsi dans le Hampshire ? La réponse est aussi brève que cruelle : par tradition ! Un peu comme les Oscars.
Aussi notre confrère souligne-t-il que le duopole des salons dominants est plus solide que jamais, Le Bourget et Farnborough, organisés en alternance, solidement accrochés à leur réputation, et cela malgré la montée en puissance de rivaux ambitieux comme Singapour et Dubaï. Mais, bien sûr, la notion de tradition ne suffit pas à expliquer la présence outre-Manche de 1.400 exposants et le défilé de 250.000 visiteurs professionnels. Aussi une mise au point s’impose-t-elle : il y a le salon des médias, l’autre des industriels, PME en tête.
Les médias jouent systématiquement un rôle simplificateur aux conclusions erronées, sinon dangereuses. Ils font en effet une fixation sur la rivalité Airbus-Boeing, vue à travers le trou de la serrure, comptabilisent chaque soir les commandes annoncées dans la journée et décident que Boeing va dépasser Airbus, à moins que ce ne soit le contraire. Dans le même temps, équipementiers de haut rang mais aussi PME performantes de toutes nationalités, vendent leurs boulons et écrous sans lesquels les avions resteraient au sol. En clair, les ténors assurent l’animation, les «petits» font des affaires.
Les dépêches de la première heure laissent ainsi entendre que Boeing s’apprêterait à faire à nouveau la course en tête. Cela sur base d’une sacrée bévue, une confusion permanente entre le nombre d’avions livrés dans l’année, par opposition aux commandes, lettres d’intention, options et autres engagements d’achats. Le cas des «monocouloirs» est exemplaire dans la mesure où, à la veille de l’ouverture du salon de Farnborough, Airbus avait engrangé des commandes portant sur 1.425 A320 NEO remotorisés, près de trois fois le bilan commercial du Boeing 737 MAX (notre illustration) parti plus tard. Chacun sait que le partage, in fine, se fera à peu près de 50/50 et que nombre de commentaires propagés ces jours-ci n’ont tout simplement plus de sens.
Cela étant dit, Boeing vient d’annoncer ou de confirmer quelques beaux succès : cent 737 MAX pur l’Air Lease Corporation, cent autres pour Gecas, 25 pour Alafco, ce qui confirme si besoin est que les loueurs ont le vent en poupe. Airbus a annoncé la vente de quatre A321 NEO à la compagnie israélienne Arkia, dix A350-100 à Cathay Pacific et un A319 à notre compagnie préférée, Drukair, qui arbore fièrement les couleurs du Bhoutan. FastJet, la nouvelle low cost africaine, a choisi l’A319 et les obtiendra auprès d’un loueur, ce qui lui permettra de monter en puissance très rapidement.
On retiendra aussi le lancement de la commercialisation d’une version nouvelle de l’A330-200 qui, grâce à une masse maximale accrue et des réservoirs de carburant redimensionnés, sera capable de franchir une étape de 13.000 km. Restera à démontrer que cette innovation, qui rappelle l’A340-500 (qui fut un échec) a vraiment un sens.
Les outsiders ? Aux abonnés absents ! Bombardier fait état d’une lettre d’intention d’Air Baltic portant sur l’achat de dix C.Series CS300, et dix autres en options, tandis que Sukhoi cherche à relancer son biréacteur régional et annonce une quarantaine de commandes dans les prochains mois. Mais rien à signaler du côté de l’Irkut MS 21 russe et du Comac C919 chinois. Il n’y a plus qu’à patienter jusqu’au prochain salon.
Pierre Sparaco - AeroMorning