C'est dans et au travers de la musique que nous sommes le plus immédiatement en présence de cette énergie que la logique et la parole ne peuvent exprimer, mais qui n'en est pas moins parfaitement tangible, énergie de l'être qui communique à nos sens et à notre réflexion le peu que nous pouvons comprendre du mystère total de la vie. Je considère la musique comme la nomination de la nomination de la vie. Il s'agit, au-delà de toute spécificité liturgique ou théologique, d'un mouvement sacramentel.
Ce que tout être humain qu'émeut la musique, pour qui la musique est vivifiante, peut en dire ne relève que de la platitude. La musique signifie. Elle regorge de significations qui ne sauraient se traduire dans des structures logiques ni dans les mots. Dans la musique, la forme est le contenu, et le contenu la forme. La musique est en même temps cérébrale au degré le plus élevé - je répète que les énergies et les relations de formes qu'implique l'exécution d'un quatuor, les interactions entre voix et instrument, font partie des faits les plus complexes auxquels l'homme ait à faire face - et en même temps somatique, charnelle, à la recherche de résonances dans notre corps situées à des niveaux plus profonds que la volonté ou la conscience.
George Steiner, Réelles présences - Les arts du sens (coll. Folio Essais/Gallimard, 1994)