Zhu Shilin est un cinéaste majeur de sa génération qui a su avec un talent certain imposé son nom dans l’histoire du cinéma chinois et hongkongais. Avec une carrière qui débute dans les années 30 et qui se caractérise par la mise en scène d’œuvre comique et dramatique contemporaines, Zhu Shilin prit une autre dimension avec son arrivée à Hong Kong à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Il y mettra notamment en scène l’une de ses œuvres les plus importantes avec Sorrows of the Forbidden City / Qing Gong mi shi (1948) également connu sous le titre Secrets of the Qing Court. La célébrissime Zhou Xuan y prêtait alors ses traits à une concubine prise dans le marasme du pouvoir et des décisions politiques.
Durant la dynastie Qing, l’empereur Guangxu tente de lancer des réformes pour moderniser le pays. En sous mains, ces réformes sont contrées par l’impératrice douairière Cixi. En réalité, cette dernière exerce toujours le pouvoir…
Drame d’une tragédie sans pareil, Sorrows of the Forbidden City fut mis en scène un an avant la fondation de la République Populaire de Chine, un parallèle qui n’est pas anodin lorsqu’on sait que Mao Zedong sous l’impulsion de sa femme Jiang Qing interdit le film. Selon cette dernière, le film de Zhu Shilin rendait honneur à la traitrise, là où le patriotisme devait être prôné. Mao Zedong attaqua notamment le film sur deux points qui sont des virages majeures de l’Histoire chinoise et du film également. La première était la mauvaise image donnée des Boxers. Pour Mao Zedong, Zhu Shilin prenait le parti de déformer le portrait glorieux qu’ils représentaient. La deuxième était la représentation de l’empereur Guangxu appartenant à la classe dirigeante (exploitant le peuple) et en exact opposition avec les valeurs marxistes.
Sur le film même, Sorrows of the Forbidden City, on notera une qualité narrative qui enlève tout superflue pour se concentrer sur un récit dense. Le cinéaste chinois nous invite dans l’intime de la cour impériale en nous offrant sa vision historique d’une fin de règne annoncée. On y découvre alors les implications historiques et les bassesses d’un pouvoir déconnecté de la réalité. Pour alimenter son récit, Zhu Shilin donne corps à ses personnages en les développements au mieux, surtout en leur conférant une nature humaine avec leur doute et leur peur. Il y apporte une importance singulière, grandement aidé par des acteurs qui communiquent au mieux les sentiments contrariés d’un quotidien régi par le faste, une prison dorée où tout geste est contrôlé.Sorrows of the Forbidden City est un film majeur et garde une profonde importance historique. Il est à noter que le film de Zhu Shilin s’illustra notamment lors du Festival de Locarno en 1950. Quant au cinéaste, il s’éteignit quelques années plus tard en affichant une filmographie de quatre-vingt titres.
I.D.