Page de titre illustrée de "Dindiki II" (Coll. de Norbert Gaulard)
Les amis de nos amis sont nos amis... L'adage n'a jamais été si vrai que depuis qu'il existe les réseaux sociaux ! C'est grâce à eux qu'en début d'année on apprenait l'existence d'un manuscrit illustré de Dindiki. Son propriétaire, Norbert Gaulard, amateur de littérature installé en Polynésie, collaborateur à la revue Le Visage Vert et bibliophile averti, avait alors la gentillesse de nous donner une copie de cette étonnante liasse de 13 feuilles numérotées... Qu'il en soit encore remercié.
Dindiki, Marc Allégret (Ministère de la culture - Médiathèque de l'architecture et du patrimoine - diffusion RMN)
Un mot sur Dindiki tout d'abord : c'est le nom donné à l'animal qu'on offre en novembre 1925 à Gide lors de son voyage en Afrique Equatoriale Française, dont on suivra l'observation et les aventures dans toute la seconde moitié du Voyage au Congo et qui finira par mourir dans le Retour du Tchad. Gide le prend tout d'abord pour un paresseux avant d'apprendre son nom exact : il s'agit comme on le nomme alors d'un pérodictique potto, aujourd'hui connu sous le nom de Potto de Bosman (Perodicticus potto), un primate lorisiforme, cousin continental des lémuriens de Madagascar.Timbre congolais représentant le Potto
Dindiki est aussi le premier texte que Gide publie à son retour d'Afrique, dans le numéro IX, automne 1926, de la revue Commerce*. Il sera repris dans une édition illustrée de bois gravés de Desroches et tirée à 639 exemplaires en 1927 aux Éditions de la Lampe d'Aladdin à Liège. Puis dans les Feuillets d'automne (Mercure de France, 1949), dans le volume de la Pléiade Journal 1939-1949, Souvenirs (Gallimard, 1954, puis 1979) et enfin toujours dans la Pléiade dans le volume Souvenirs et voyages (Gallimard, 2001).André Gide, Dindiki, illustrations de Desroches (Éditions de la Lampe d'Aladdin, 1927, s.l. [Liège])
Le manuscrit original de Dindiki se compose de 10 feuillets, très raturés, et se trouve au Fonds Gide de la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet (cote Gamma 899). Celui dont Norbert Gaulard nous précise qu'il l'a acheté « à un marchand de vieux papiers de Montbéliard » présente treize feuillets numérotés d'une écriture sans rature ou presque, qui n'est pas celle d'André Gide**. Mais sur la page de titre illustrée, en plus de la mention « André Gide et Dindiki », c'est bel et bien l'écriture de Gide qui semble dater du « 25 décembre 1927 » et signer « Dindiki II » ce manuscrit.
Le cartouche semble avoir été réservé pour l'envoi : l'illustration qui représente Gide assis dans la jungle sous un palmier où grimpe Dindiki prend toute la page. Gide peut donc y indiquer qu'il s'agit de : « Ma plus originale silhouette : En souvenir du 206 ! » Silhouette avec casque colonial très reconnaissable et très semblable à celle qu'on peut voir sur les photographies de Marc Allégret. Mais la végétation qui se veut tropicale présente toutefois une erreur grossière...
Au premier plan, la plante caractéristique avec ses raquettes hérissées d'épines est une oponce, dont la forme la plus connue est le figuier de Barbarie qui prolifère sur tout le pourtour méditerranéen et que Gide connaît bien. Il est donc peu probable qu'il ait dessiné lui-même cette inflorescence incongrue butinée par un papillon et qui ne ressemble pas du tout aux petits bouquets de fleurs poussant à même les raquettes des opuntias.
Qui donc est l'auteur de cette illustration et de celle à la dernière page montrant Dindiki endormi dans un arbre ? A qui Gide a-t-il dicté ce texte qui montre quelques variantes avec celui publié ? Est-ce quelqu'un de Cuverville, où il se trouve le 25 décembre 1927 ? Quel est ce mystérieux « souvenir du 206 » ? Et enfin qui est le destinataire de ce « Dindiki II » ? L'appel est lancé à qui aurait une piste... pour sortir de cette jungle de questions sans réponses !
Gide dans la baleinière, Dinidki sur les épaules, Marc Allégret
(Ministère de la culture - Médiathèque de l'architecture et du patrimoine - diffusion RMN)
Nous voici en tout cas avec une version légèrement remaniée : beaucoup de variantes de ponctuation, quelques précisions apportées, quelques retranchements qui épurent le texte, et l'ajout en note de la source de la description de l'animal dans Cuthbert Christy, qui figurait dans le Retour du Tchad mais pas dans la version publiée de Dindiki. La comparaison des textes fait également apparaître une amusante coquille dans celui de la Pléiade de 1979: « Natura non fecit satus ». Gide, lui, est fécond en trouvailles mystérieuses !
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* Le texte sera également publié en Allemand dans le Vossische Zeitung du 22 janvier 1928 : la proximité de ces dates est-elle une piste ?** Pierre Masson croit reconnaître l'écriture d'Elisabeth Van Rysselberghe. Mais, plus férue encore de botanique que Gide, elle ne peut être l'auteur du dessin.
Les trois premières pages de Dindiki II (Coll. Norbert Gaulard)
Tableau des variantes :
(A noter : les quatre premières occurrences du nom de l'animal, sur les deux premières pages, montrent la correction de "Dindiky" en "Dindiki", le y étant parfois gratté et remplacé par un i, parfois la boucle simplement raturée et la lettre modifiée en i. Par la suite la graphie se stabilise.)
Version du manuscrit illustré Version des Feuillets d'Automne (1949)
Pérodictique (.) potto. C'est ainsi que l'ont baptisé les savants. Il n'a pas d'autre nom dans notre langue. Pérodictique potto : C'est ainsi que l'ont baptisé les savants. Il n'a pas d'autre nom dans notre langage.
Déjà j'imaginais le couple en France ; il faisait souche et j'offrais un petit pérodictique à Larbaud... Déjà j'imaginais le couple en France ; il faisait souche et j'offrais un petit pérodictique à Larbaud.
Malgré les récompenses promises aux indigènes chasseurs, ceux-ci revinrent les mains vides. Malgré les récompenses promises aux indigènes chasseurs, ceux-ci revinrent bredouilles.
[…] petit village au Nord de Nola. […] petit village au nord de Nola.
Il était encore tout jeune. Je pense qu'il avait dû tomber d'un arbre. Dans la cage à poules [...] Il était encore tout jeune. Dans la cage à poules [...]
… à mon tippoye... … à mon tipoye...
Peut-être ces apophyses viennent-elles à trouer la peau avec l'âge [...] Peut-être ces apophyses en viennent-elles à trouer la peau avec l'âge [...]
[…] ces bizarres protubérances, cachées ainsi que je l'ai dit par le poil, mais très sensibles au doigt, servaient sans doute au pérodictique de point d'appui et qu'il enfonçait dans un défaut d'écorce lorsqu'il s'apprêtait à dormir. […] ces bizarres protubérances, cachées, ainsi que je l'ai dit, par le poil, mais très sensibles au doigt, servaient sans doute au pérodictique de point d'appui et qu'il les enfonçait dans un défaut d'écorce lorsqu'il s'apprêtait à dormir.
[…] sorte de boutoir, quand […] […] sorte de boutoir quand […]
De ses yeux on ne voit qu'un iris mordoré; presque pas de pupille, le diaphragme est fermé durant le jour. De ses yeux, on ne voit qu'un iris mordoré; presque pas de pupille; le diaphragme est fermé durant le jour.
[…] fine autant que le croissant de lune au premier jour du rhamadan. […] fine autant que le croissant de la lune au premier jour de rhamadan.
Les coques arrondies de ses très petites oreilles sont noyées dans le poil. Il a des incisives de rongeur Les coques arrondies de ses très petites oreilles sont noyées dans le poil; il a des incisives de rongeur
Quatre mains dont il ne suffit pas de dire que le pouce est opposable : ce pouce, très long, ne forme point d'angle […] Quatre mains; dont il ne suffit pas de dire que le pouce est opposable : ce pouce très long ne forme point d'angle […]
[…] le troisième doigt des mains de devant […] et le troisième doigt des mains de devant
[…] est extrêmement long, formant griffe. […] est extrêmement long, formant griffe et dont il se sert pour gratter.
Quand il se cramponne à une branche on ne peut lui faire lâcher prise […] Quand il se cramponne à une branche, on ne peut lui faire lâcher prise […]
« slow and deliberate in his movements » dit Christy (2)
(2) Christy, Big game and Pigmies [sic, pour Pygmies] « slow and deliberate in his movements » dit Christy
Il n'ouvre jamais sa main de devant, que la main d'arrière correspondante […] Il n'ouvre jamais sa main de devant sans que la main d'arrière correspondante […]
Natura non fecit saltus – est la règle de sa conduite et « Festinare non decet ». « Natura non fecit saltus » est la règle de sa conduite, et « Festinare non decet ».
[…] à terre ses mouvements sont gauches, comiques, il avance d'un petit trot de plantigrade […] […] à terre ses mouvements sont gauches, comiques; il avance d'un petit trot de plantigrade […]
[…] ses membres enserrent; à brassées et à enjambées énormes, en un rien de temps, il s'élève […] ses membres enserrent à brassées et à enjambées énormes; en un rien de temps, il s'élève
[…] pour m'assurer de nouveau de sa présence […] pour m'assurer du renouveau de sa présence
[…] qui ne se ferment pas la nuit, s'élargissent, […] qui ne se ferment pas la nuit s'élargissent,
J'imagine une famille de Dindikis J'imagine une famille de dindikis
[…] vers une cavité que les abeilles ont remplie de miel […] vers une cavité que des abeilles ont remplie de miel
A cette heure les abeilles dorment; viennent-elles à s'émouvoir […] A cette heure les abeilles dorment; et viennent-elles à s'émouvoir […]
Voudrait-il vraiment me quitter ? Quand je le laisse roder dans ma baleinière […] Voudrait-il vraiment me quitter ? Peut-être pas; mais seulement courir un peu. Quand je le laisse roder dans ma baleinière […]
[…] me tire les cheveux ou l'oreille. Cela veut dire : « Joue avec moi. » me tire les cheveux ou l'oreille; cela veut dire : « Joue avec moi. »
[…] le gratte un instant, puis fuit. […] le gratte un instant, puis il fuit.
[…] en boule, et allez donc […] en boule et allez donc
[…] de sorte que je n'osais céder trop à sa gourmandise […] de sorte que je n'osais céder trop à ses goûts
[…] notre photosphore […] notre photophore
Il les croqua tous presque indifféremment d'abord […] Il les croqua tous, presque indifféremment d'abord […]
[…] et par la suite nous nous en tînmes aux cicindèles. […] et, par la suite, nous nous en tînmes aux cicindèles.
Il faut dire que dans l'humide forêt équatoriale où il vit, Il faut dire que, dans l'humide forêt équatoriale où il vit,
[…] dans le Nord du Cameroun […] dans le nord du Cameroun
[…] où nous arrivâmes, le 21 mars après six heures de marche, le thermomètre marquait 45° […] où nous arrivâmes le 21 mars, après six heures de marche, le thermomètre marquait 45 degrés
[…] une hutte ronde au toit de chaume […] une hutte ronde, au toit de chaume
Las de le retenir, de le suivre, de le reprendre […] Las de le retenir, de courir après lui, de le reprendre […]
[…] ainsi que dans forêt natale […] ainsi que, dans forêt natale
[…] et pour qu'on ne me juge pas trop idiot […] et pour qu'on ne le juge pas trop idiot
[…] de s'enfoncer sous des coussins, des couvertures […] de s'enfoncer sous les coussins, les couvertures
[…] jusqu'à l'extrême limite de l'étouffement, eût dit Mardrus; comme si, pour bien dormir, le « non spirare » devait s'ajouter au « non veder » et au « non sentir » […] « jusqu'à l'extrême limite de l'étouffement », eût dit Mardrus; comme si, pour bien dormir, le non spirare devait s'ajouter au non vedere et au non sentire
Quand le moment de repartir vint […] Quand le moment vint de repartir […]
Je l'étendis sur mes genoux, l'humectai, lui fit faire, Marc m'aidant, ces mouvements respiratoires […] Je l'étendis sur mes genoux, l'humectai, le frottai et, tandis qu'Outhman l'éventait, lui fit faire, Marc m'aidant, ces mouvements respiratoires […]
[…] et rapporta notre caisse de pharmacie. Par crainte d'une dose trop forte, ce ne fut qu'un simulacre d'injection. Cependant au bout d'une heure de soins […] […] et rapporta notre caisse de pharmacie. Au bout d'une heure de soins […]
[…] par appétit, gourmandise ou tendresse […] […] par appétit, gourmandise... ou tendresse […]
Certainement il manquait à son alimentation quelque chose, herbe, écorce que je ne savais pas lui procurer […] Certainement, il manquait à son alimentation quelque chose, herbe, écorce, que je ne savais pas lui procurer […]
Jusqu'à l'avant-dernier jour, néanmoins, […] Jusqu'à l'avant-dernier jour néanmoins, […]
C'est dans mes mains qu'il est mort […] C'est entre mes mains qu'il est mort […]
Illustration de la dernière page du manuscrit (coll. Norbert Gaulard)