L'euro ou les pièges du court terme

Publié le 10 juillet 2012 par Copeau @Contrepoints

Depuis deux ans "il est urgent de résoudre le problème de l'euro" et l'on répète : "si le prochain sommet ne donne pas de résultats nous allons vers une catastrophe bancaire donc économique et la dislocation de la zone euro ; il faut absolument une meilleure union politique (j'emploie à dessein un terme vague) pour nous tirer de là".
Par Yves Montenay.

Ces appels aux politiques me semblent résumer ce que je lis de façon de plus en plus pressante sur Les Échos et ailleurs. Beaucoup d'acteurs économiques ont peur. L'étranger vend tout ce qui lui semble lié à l'euro (sauf les obligations allemandes) ; l'action Total est bradée, quoique cette entreprise n'ait rien de particulièrement français, du moins économiquement, et pas grand-chose d'Européen. Bref c'est l'affolement : "Faites quelque chose ! Vite !"

Par exemple, tel fonds de pension actionnaire de Total s’agite de toutes ses forces pour que cette entreprise soit enfin "normalement" regardée et perde sa "décote euro". Il plaide donc "pour une union politique afin que l’euro soit sauvé" quels que soient par ailleurs les avantages ou inconvénients de l'Europe des nations, d’une Europe fédérale ou d’un super-État bureaucratique bruxellois. Il ne faut pas s’encombrer de questions oiseuses et aller au plus vite pour sauver les titres de ce fonds et donc les retraites de ses déposants.

Et de même pour bien d’autres acteurs économiques, et bien sûr non seulement pour Total, mais pour tout autre titre et notamment les obligations de certains États. Bref un problème urgent et massif, dont la solution justifie tout… "et n'importe quoi" est-on tenté d'ajouter. Par exemple en empruntant encore plus, mais avec une casquette européenne puisqu'on craint de ne plus pouvoir utiliser la casquette française.

Or les acteurs économiques ne sont pas historiens et encore moins démographes. S'ils étaient historiens, ils s'affoleraient moins. Peut-être se souviendraient-ils que l'Europe a vécu bien mieux qu'aujourd'hui sans union monétaire, que ce soit avec des monnaies indépendantes, ou avec le "serpent" monétaire et son fameux "tunnel". Certes, l'euro a apporté des simplifications appréciables, mais aussi beaucoup d'inconvénients si l'on pense aux dérapages qu'il a permis en Grèce et ailleurs. Donc un peu de recul historique permet de voir les choses différemment, et beaucoup de recul historique davantage encore, car l'histoire monétaire et de l'endettement est très riche. Et je parie que, dans quelques mois ou quelques années, Total vaudra son prix de pétrole, que l'euro demeure ou non.

La démographie maintenant. Que vient-elle faire ici ? Comme l'histoire, elle apporte une vision à long terme, puisque son unité de temps est la génération, voire la durée de la vie humaine. Et cette vision à long terme est solide, puisque l'on connaît presque parfaitement les populations futures pour de nombreuses décennies à venir. Alors que nous dit-elle ? Simplifions brutalement : elle nous dit que l'Allemagne est fichue. Ce sera bientôt un asile de vieillards.

Sauf immigration dira-t-on, et c'est effectivement ce qui freine son déclin actuellement. Mais il y a deux immigrations. Là aussi, simplifions un peu abusivement : il y a l'immigration "de masse" en provenance "du Sud", qu'il faudrait assister dans un premier temps, former et intégrer, et dont les Allemands ne veulent pas. Et il y a l'immigration immédiatement utilisable à tous les niveaux de la hiérarchie économique, celle venant des pays développés et de l'élite des pays qui le sont moins. Le problème est que beaucoup de pays développés sont dans le même état démographique que l'Allemagne, et que, pour prendre un exemple réel, l'afflux d'Italiens en Allemagne "déshabille" l'Italie autant qu'il "habille" l'Allemagne. De même, "piller" les élites du tiers-monde a un effet tout aussi économiquement négatif pour les pays concernés, et donc indirectement pour l'Allemagne.

Bref l'avenir à long terme de l'Allemagne est sinistre, mais aussi celui de l'Italie, de l'Espagne et de la plupart des autres pays d'Europe (sauf l'Irlande, la Grande-Bretagne et la Suède). Sont également sinistres celui de la Russie, celui du Japon, celui de la Chine (voir l'article cité plus bas, et rajoutons que la masse est telle que toute immigration serait négligeable). Remarquons que tous ces pays sont d’importants clients et fournisseurs de l'Allemagne, ce qui amplifiera les problèmes de celle-ci.

En résumé, je viens d'opposer le court terme au long terme. Une crise aiguë, et l'affolement qui en résulte pousse à des solutions qui engagent le long terme, alors qu'un examen historique montre que cet affolement est probablement excessif, et que la démographie nous montre que ce serait une erreur stratégique de se lier politiquement et économiquement à des voisins qui seraient alors bientôt à notre très lourde charge, et de plus nous "déshabilleront" probablement de nos meilleurs éléments. Et je remarque de plus que nous réclamons une intégration pour le pire (la finance donc, notamment, les retraites) et non pour le meilleur : notre gouvernement tout neuf vient de répéter qu'il ne veut pas des contraintes européennes qui l'obligeraient à des réformes qui ont pourtant fait leurs preuves chez nos voisins.

Mais le court terme est puissant. Je crois entendre "après moi le déluge" et "à long terme nous sommes tous morts" (Keynes). C'est probablement ce que Mitterrand a pensé en décidant la retraite à 60 ans : quand on lui a dit "ce sera une catastrophe qui s'amorcera en 2006 et culminera, vers 2030", il a répondu, "nous sommes en 1981 et je veux être élu".

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Publié initialement sur Le Cercle Les Échos.