Autrefois dans les temps anciens, très anciens, vivait une gentille petite fée, gracieuse comme le printemps, fraîche comme la rosée, jolie comme l'aurore : on l'appelait Flore et on l'avait surnommée la Reine des Jardins.
Royauté bien plaisante en vérité.
Elle aimait les fleurs tant et tant. Tout le long du jour, et même de la nuit, on la voyait occupée à les arroser, à les disposer bien à l'aise sur leurs tiges ; elle les époussetait ; elle lustrait leurs corolles que le vent avait fripées. Que de soins ! Que d'affaires ! Un peu d'eau à celle-ci ; un peu plus de soleil à celle-là ; de l'ombre à une autre ; et jamais elle n'en finissait.
L'aimable Flore n'avait repos ni trêve.
Elle multipliait ses pas ; elle courait ; elle volait ; elle était à cent endroits à la fois. Les jours passaient sans qu'elles 'aperçut de leur durée ; et la nuit tombait qu'elle n'était pas à la moitié de sa besogne.
Comment suffire à tant d'occupations ?
Que faire pour sortir d'embarras ?
Flore s'avisa alors d'un expédient, sachant qu'avec de la méthode on peut mener à bien le travail le plus long et le plus fatigant. Il n'était que de régler sa journée, de fixer minute par minute l'empli de son temps. Elle pouvait bien, direz-vous, consulter le soleil pour savoir l'heure ; oui, mais quand le temps était couvert ! Ah ! si encore en ce moment-là elle avait eu montres ou horloges !
Flore, qui avait l'esprit insouciant, mais fertile en ressources, chercha dans sa petite cervelle ; puis elle prononça, bien avant Archimède, le fameux : J'ai trouvé.
Et voici l'expédient qu'elle imagina.
Elle allait endormir ses fleurs et elle les ferait réveiller, l'une après l'autre, chaque jour, à heure fixe, de sorte qu'en voyant telle ou telle épanouie, tout de suite elle saurait à quel moment de la journée elle se trouvait.
Aussitôt dit que fait.
Voici qu'elle rassemble dans un grand parterre, grand, grand, beau comme le paradis. Et là elle les fait s'asseoir sur un doux tapis de verdure. Vit-on jamais plus pompeuse assemblée ! Toutes les fleurs étaient là réunies ! les énormes pavots rouges, les petites violettes, les lis blancs, les boutons d'or, les roses, les iris, les jasmins les camélias, les mauves, les marjolaines, les muguets, les humbles et les superbes, les fleurs les plus belles, les plus odorantes, les plus colorées, les plus rares et les plus singulières qui se puissent imaginer ! Et tout autour voltigeaient l'essaim léger des abeilles, les papillons frivoles, mille et milles insectes bruyants ; et sur les arbres les oiseaux magnifiques chantaient.
Flore parla et tout se tut.
"Pour mon bien et pour le vôtre, dit-elle, je ferai se fermer quelque temps vos précieuses corolles ; vous sommeillerez ; Zéphire vous bercera de songes agréables, et vous vous réveillerez, c'est-à-dire que vos corolles s'ouvriront, chaque jour à l'heure que nous aurons choisie."
Et, moitié sévère, moitié caline, comme fait une bonne mère qui gronde en souriant, elle les appelait les unes après les autres pour connaître leurs préférences et savoir à quelle heure il conviendrait de les réveiller.
Les unes, paresseuses, aimaient dormir la grasse matinée, les autres, plus diligentes, demandaient à voir le riant soleil du matin, d'autres encore, fuyant le bruit, préféraient le crépuscule silencieux ou la nuit calme. Bref chacune, selon le désir de Flore, choisissait une heure différente pour son lever.
Alors tout s'arrangean le mieux du monde.
Le Liseron de Paris ouvrait sa fleur coquette aux premiers sourires de l'aube, à trois heures ; le Pavot suivait en s'ouvrant à cinq heures ; puis c'était le tour de la Belle-de-Jour, à six heures, du Lis des eaux, à sept heures ; du petit Mouron, à huit heures ; du Souci des Champs, jaune comme le soleil, à neuf heures ; de la Glaciale, à dix heures ; de l'Ornithogale; justement nommée Belle-Dame de Onze heures, à onze heures ; et du simple Pourpier, à midi.
Le réveil d'une sorte d'Oeillet marquait ensuite l'heure de l'après-midi ; celui de la Seylle, du Leontodon, de l'Alysse, deux, trois et quatre heures du soir ; alors apparaissait la Belle-de-Nuit, qui correspondait à la Belle-de-JOur, à cinq heures ; puis le Géranium triste, à six heures ; enfin le Volubilis, le Silène et quelques autres terminaient la série des vingt-quatre heures qui font toute la durée du jour et de la nuit.
Toutes les heures étaient ainsi comptées.
C'était le cadran le mieux réglé que l'on puisse voir.
L'ordre et la promptitude régnèrent dès lors dans le jardin. Flore, plus sûre de son temps, choyait tranquillement ses fleurs. Zéphire les berçait endormies, tandis que les abeilles d'or allaient et venaient, d'une corolle à l'autre, comme des servantes zélées.
On dit que la fable était toujours plus belle que la réalité. Je ne crois pas que ce soit ici le cas. Je ne vous ai pas fait un vrai conte.
Lorsque vous vous promenez à travers champs et jardins, dans la compagnie de vos parents et de vos maîtres, ils vous enseigneront à connaître les fleurs et à les désigner par le nom qu'on leur a choisi. Vous trouverez alors la plupart des fleurs que je vous indique et vous les verrez entr'ouvrir leurs corolles à l'heure dite et doucement s'éveiller.
Voilà ce que remarqua, il y a longtemps de cela, pour la première fois, le grand naturaliste Linné ; et il établit cette Horloge de Flore qui n'est que l'expression imagée d'une curieuse et intéressante observation scientifique. Et c'est là-dessus, mes enfants, que j'ai voulu un instant arrêter vos regards, parce que je sais bien que vous en retirerez quelque jour profit.
Paul MARYLLIS