Si la société moderne nous a appris une chose, c’est qu’à chaque problème complexe on peut très bien trouver une solution simple, directe, douce, câline, et parfaitement idiote. Et si l’on veut que cette solution aussi moelleuses que stupide soit relayée par les médias, rien de tel que de la faire germer dans l’esprit imaginatif des bobos.
Prenons par exemple la publicité.
Au départ, il s’agissait de simplement faire connaître l’existence d’un produit qui répondait à un vrai besoin des consommateurs. Puis, petit-à-petit, à mesure que les firmes ont voulu pousser plus de produits vers des consommateurs plus nombreux et pointilleux, la publicité s’est spécialisée dans le déclenchement de comportements d’achats pour le plus grand plaisir des vendeurs. Mais tout le monde sait que le consommateur, en réalité, n’a pas besoin de tout ce fatras ! On l’a forcé, évidemment, à l’acheter en déclenchant chez lui ce besoin compulsif de vider son portefeuille pour le dernier iPad, la dernière voiture de qualitaÿ de chez Renault, ou le dernier 45-tours de Lady Gaga !
Une seule solution s’impose alors : combattre la publicité qui agresse les sens ! Et pour cela, rien de telle qu’aller barbouiller de peinture des mobiliers urbains décorés de publicités animées ou non, de casser des écrans de télévision présentant les dernières nouveautés publicitaires honnies, ou d’arracher les laides affiches de réclame polluante !
Évidemment, ces actes seraient qualifiés de vandalisme s’ils étaient le fait d’une bande de jeunes cherchant à effaroucher le bourgeois. Et lorsqu’il s’agit d’un collectif citoyen de conscientisation de la société contre l’invasion publicitaire nocive, évidemment, le qualificatif de « vandalisme » ne tient plus. On utilisera le mot plus idoine pour ces combattants du nettoyage publicitaire de « déboulonneurs ».
C’est pratique, comme expression : on n’est plus dans le vandalisme, puisqu’on déboulonne. On n’est plus dans le saccage d’un McDo, on le démonte. On ne détruit pas quelques hectares de maïs, on les fauche volontairement. Et d’ailleurs, les plus grands pipoosophes que la France héberge adoubent la démarche, puisque même Edgar Morin, le chantre de la Pensée complexe™, l’a déclaré sans détour :
« Il serait inique que des barbouilleurs animés par un esprit civique de dépollution des images soient poursuivis et condamnés, alors que tant d’ignominies dues à la recherche du profit maximum sont tolérées. »
Eh oui : comme les vendeurs d’armes américains font un profit pornographique en allant bombarder l’Irak, il serait scandaleux que nos gentils barbouilleurs soient condamnés, enfin ! Cette évidence est inférée fort à propos dans une tribune parue récemment dans le Monde, cet organe de presse devenu officiellement l’adoucisseur après-lavage de cerveau de toute une génération de socialistes hydroponiques.
Ainsi, il apparaît absolument clair que la publicité influe sur notre comportement. Comme il est aussi évidemment limpide que certains êtres sont plus fragiles et manipulables que d’autres, et comme les « déboulonneurs » ont pour mission de protéger cette population frêle et trop facilement contrôlable (et qu’on appellera dès lors « à risque »), une bonne dose de régulation de la publicité doit être envisagée.
La lecture de la tribune est édifiante : chaque terme y a été particulièrement bien choisi, comme l’aurait été ceux d’une publicité, en fait. Ainsi, les enfants ne regardent pas des spots publicitaires, ils y sont exposés, comme on pourrait être exposé à des radiations ou des gaz toxiques. L’utilisation de conditionnel à la grosse louche permet en outre de faire passer des potentialités de danger (aussi farfelues soient-elles) comme des risques probables et dont les conséquences sont aussi difficilement calculables que le risque est hypothétique à la base. L’apothéose est atteinte lorsque la tribune entend réclamer un droit de non-réception de la publicité, tout comme on pourrait réclamer le droit de ne pas recevoir l’image des gens qui sont vraiment moches ou mal habillés, ou l’odeur de ceux qui ont une hygiène douteuse.
Et pendant que les bobos « déboulonneurs » sauvent le monde de la terrible menace publicitaire, d’autres bobos, aussi frétillants et actifs que les premiers, se persuadent que consommer local est LA bonne idée pour sauver la planète. Eh oui : pendant que l’humanité subit les assauts des hordes publicistes lourdement armées, la planète Terre est aussi en proie aux affres de la pollution des avions, des bateaux, des camions, des mobylettes et des scooters qui trimballent des tomates et des petits pois du Pérou à la Finlande.
Or, tout le monde sait que les petits pois sont meilleurs quand ils sont cultivés, récoltés et vendus localement !
Et même si tout le monde sait, cela n’a pas empêché deux scientifiques, Pierre Desrochers et Hiroko Shimizu, d’étudier précisément les impacts écologiques des productions locales et de les comparer avec les productions étrangères importées en brûlant des centaines de litres de fioul, kérosène et autres joyeusetés carbonées. Leur conclusion est abominable (et prévisible) : manger localement est écologiquement malsain. Leur ouvrage, The Locavore Dilemna, malencontreusement basé sur des éléments factuels vérifiables, montre que la chaîne d’approvisionnement alimentaire actuelle est le résultat d’une évolution logique soumise aux compétitions multiples du marché, et qu’à ce titre, elle représente une bien meilleure alternative à la chaîne d’alimentation exclusivement locale. Le livre montre aussi que si le marché agro-alimentaire mondial pouvait être débarrassé complètement des subventions (PAC et autres), les prix seraient notoirement plus bas pour des produits plus variés, le tout avec une empreinte économique et écologique bien meilleure.
Bref : la « solution » simple, directe, douce et câline qui consiste à manger local provoque plus de dégâts environnementaux que l’alternative économique traditionnelle.
Mais ces petites dérives boboïdes ne sont rien à côté de ce que la pleine puissance de la Boboïtude Ultime permet d’atteindre lorsqu’elle est complètement lâchée en roue libre, avec des moyens et un beau site web coloré. Là encore, il s’agit de faire passer des idées simples, voire simplistes : pour bien évaluer le degré de bonheur des gens dans différents pays, on va concocter un indice, le Happy Planet Index, qui évaluera ces pays sur leur efficacité à garantir à leurs habitants des vies longues, heureuses et à l’impact environnemental aussi modéré que possible.
Oui, je sais, cela ne veut rien dire, mais c’est pourtant de cette façon que l’indice est présenté. Et après leurs petits calculs, les indécrottables bobos obtiennent la jolie carte suivante :
Eh oui : l’indice est formel, les gens vivent moins heureux et/ou la planète est moins respectée aux Etats-Unis qu’en Irak ! D’ailleurs, les hordes d’Américains qui fuient leur pays pour se rendre en Irak pour y trouver, enfin, un environnement sain et durable, attestent tous les jours de la pertinence frappante de cet indice.
On imagine sans mal que munis de ce genre d’indices, les lobbys écologiques et humanistoïdes de combat n’auront pas de mal à faire plier des hordes de politiciens ravis d’avoir ainsi de jolies infographies anti-capitalistes anti-consommation débridée pour pousser leurs lois destinées à remettre un peu d’ordre dans toutes ces dérives (des abrutis qui suivent bêtement les conseils publicitaires, des idiots qui ne mangent pas localement, et des benêts qui ne savent pas où est leur vrai bonheur).
Je me permets de douter de l’efficacité de ces démarches. Mais en tout cas, une chose est sûre : si l’enfer est pavé de bonne intentions, la décoration équitable des pavés est réalisée à la main par des bobos éco-conscients.