Ce matin je disais que les réussites électorales semblaient attiser les rivalités à l'intérieur des partis. C'est également vrai pour les défaites, comme on peut le constater à l'UMP. C'est l'ordinaire de la politique.
Ainsi, déjà, les coûteaux sortent pour préparer le nouveau round qui commence. Ce sera sans gants, car le principe de ne rien dire avant les municipales ne tient plus. C'est dans des moments comme celui-ci que l'on peut s'attendre à ce que Lionel Jospin prenne sa plume pour donner des leçons aux autres tout en essayant de nuire à Ségolène Royal. Ce qui est fait.
Jospin lance quelques piques assez pertinentes contre Sarkozy :
En s'attribuant tout l'espace, en court-circuitant ses ministres, en prétendant être la mesure de toute chose, le président a déstabilisé l'exécutif et démobilisé sa majorité parlementaire. Il a aussi désorienté les Français.
[...] Le président a altéré sa fonction en prétendant incarner toutes les autres et, par son comportement insolite, il est devenu le symbole d'une politique confuse. Lui qui se voulait tout-puissant se retrouve affaibli. Le premier ministre, qu'il avait marginalisé, s'est redressé : en agissant normalement, il a bénéficié d'un effet de contraste.
Evidemment, écrire cela aujourd'hui n'est pas franchement un acte de courage politique. Il était possible de faire exactement la même analyse il y huit ou neuf mois. Voici ce que j'écrivais, blogueur débutant, le 23 mai 2007:
Le pouvoir sarkozien sera unifié. C'est-à-dire que les distinctions sur lesquelles sont fondées l'état de droit (mais pas l'Etat de Droite, apparamment) vont progressivement s'éffriter. Et c'est déjà parti : confusion entre le rôle du président et celui du premier ministre, entre les pouvoirs de l'Elysée et ceux du gouvernement et des ministères [...], confusion entre l'Etat et les grandes entreprises [...], confusion entre l'Etat et l'UMP [...], confusion entre le pouvoir et la presse [...], confusion des responsabilités des administrations avec un découpage ministériel inédit, et même confusion entre la droite et la gauche avec un gouvernement d'"ouverture" qui brouille les cartes (et la perception populaire de l'action gouvernmentale) encore plus.
Mais à cette image-là, il faut ajouter celle d'un bloc de pouvoir qui s'étend à tous les aspects de la vie publique. Sarkozy sera dans tout, et tout se ramenera à Sarkozy.
A ce stade taper sur Sarkozy est donc pour Jospin un exercice obligatoire, une mise en bouche avant d'arriver à son véritable sujet, Celle que l'on ne nomme plus mais qu'il faut à tout prix empêcher de s'emparer du PS:
Parmi leurs dirigeants actuels, les socialistes doivent choisir pour la porter à leur tête une personnalité dotée d'une culture et d'une expérience politiques indiscutables. Qui connaisse le PS et respecte ses militants. Qui ait la volonté de redonner à tous le sens de la réflexion et de l'action collectives pour faire des propositions cohérentes au pays.
La culture et l'expérience politique de Ségolène Royal ne seraient pas, aux yeux de Jospin, "indiscutables". Bon. Nous sommes habitués à ce point de vue.
Curieusement, pour Jospin, la question de la direction du PS est son unique faiblesse :
Le second déséquilibre du PS concerne l'écart entre son potentiel collectif et sa panne de leadership. Les difficultés ne sont ici ni programmatiques ni stratégiques : un programme se mûrit et une stratégie s'affine. Mais il faut pour cela un chef de file reconnu qui mette chacun au travail.
C'est surprenant d'entendre cela, car depuis dix mois les différents refondateurs du PS n'ont eu de cesse de décrier précisément les difficultés "programmatiques" du PS, entre le sarko-socialisme de Manuel Valls, les querelles autour du TCE, les DSKïstes qui veulent rabibocher le socialisme et le marché (alors que c'est déjà fait depuis à peu près l'origine du socialisme) il est difficile de comprendre que le programme soit si "mûr" que cela. L'écart entre les défaites nationales du PS et ses victoires locales s'explique, en partie du moins, par l'extrême difficulté actuelle de formuler un programme national, tandis que l'espace local permet au contraire aux candidats de formuler un socialisme cohérent. Bref, dire aujourd'hui que le PS n'a pas besoin d'une réflexion sur son programme ou sur sa stratégie, c'est sans doute irresponsable, et, sous la plume de Jospin, c'est très certainement stratégique, justement.
Car ce qui se prépare - les signes sont déjà visibles - c'est un grand mouvement chez les ténors du PS contre la réflexion. Cambadélis annonce que son groupe de "reconstructeurs", initialement prévu pour protéger le parti des dégâts d'une compétition Royal-Delanoë, va peut-être accueillir Delanoë aussi, pour devenir en réalité un front anti-Ségolène, défini surtout par des considérations stratégiques. Car on conçoit mal ce qui, sur le plan "programmatique", ce qui pourrait unir strauss-kahniens, fabusiens et montebourgeois.
Même son de cloche du côté de Fabius, d'ailleurs :
"Nous allons devoir préparer un projet différent de celui de notre candidate puisque celui-ci a été rejeté."
Pris à la lettre, il est permis de penser que même la candidate pourrait être d'accord : il n'est pas question de repartir avec exactement le même projet qu'en 2007. Mais la formulation de Fabius, qui met l'accent sur la différence vis-à-vis de Royal, laisse entendre clairement un Tout Sauf Ségolène latent. Ou pas si latent que ça, au fait.
L'ennui avec ces considérations stratégiques à l'intérieur du PS, c'est qu'encore une fois elles risquent d'occulter le débat. Les grandes synthèses molles de l'après TCE que tout le monde mettaient au compte de François Hollande vont, au nom d'un barrage contre Ségolène Royal, se refaire cette fois sans Hollande. Malheureusement, Ségolène Royal est devenue le nouveau prétexte à un immobilisme. Curieusement nous sommes passé des appels à répétition, à peu près vides de sens, en faveur d'une réfondation impossible à décrire, à un satisfecit jospinien, à l'éloge du statut quo et à des alliances tactiques qui permettront à certains de sourire côte-à-côte sur les photos de famille sans pour autant avancer la réflexion.
Marc Vasseur s'inquiétait (mais je ne retrouve pas le billet), avant les municipales, de la perspective d'une victoire qui arrêterait tout processus de rénovation au PS. Nous y sommes.
Update: voir le billet d' intox2007 sur la tribune de Jospin et nos stratèges au PS.