Je suis avec beaucoup de curiosité et un intérêt teinté d’un peu de scepticisme la campagne de François Bayrou. Après sa participation à l’émission « j’ai une question à vous poser », un sondage le crédite de 19% des voix au premier tour (contre 25,5% pour S. Royal et 29% pour N. Sarkozy). La campagne menée par le candidat centriste est donc plutôt bonne.
Il faut dire que les circonstances jouent assez en la faveur de Fr. Bayrou, qui débauche surtout, comme le suggère ce dernier sondage, l’électorat de gauche : les ratés de la campagne de S. Royal et le programme irréaliste de la candidate au regard de la dette française le servent à point. Quant à N. Sarkozy, que je soutiens par ailleurs, il est plus ou moins victime, même dans une partie de l’électorat de droite, de l’image autoritaire qu’incarne nécessairement un ministre de l’intérieur qui fait son travail. A contrario, Fr. Bayrou a su se créer une image disons plus proche du peuple : un Français parmi d’autres... Le candidat centriste ne manque d’ailleurs pas une occasion de le rappeler, preuve que tout cela est savamment calculé : il ne paie pas l’impôt sur la fortune, se plaît-il à répéter (comme si c’était une honte !) ; il possède une ferme où il élève des chevaux, il a été professeur pendant dix ans, etc...
Au-delà de l’image elle-même, Fr. Bayrou propose un certain nombre de bonnes idées qui figurent également dans le programme de N. Sarkozy ou que le candidat de l’UMP ne désavouerait pas obligatoirement. Il souhaite voir par exemple inscrit dans la constitution « l’interdiction pour la France de présenter un budget de fonctionnement en déficit ». N. Sarkozy a lui aussi, et avec raison, proposé de faire ainsi la différence entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement. Pour sortir des 35 heures, ensuite, Fr. Bayrou fait une proposition comparable à celle du ministre de l’intérieur, consistant à développer les heures supplémentaires. Il ne propose pas de les exonérer d’impôt sur le revenu mais de les rémunérer 35% plus cher au salarié, avec une baisse de charge équivalente pour l’entreprise.
L'opposition de Fr. Bayrou avec l'UMP est bien souvent formelle. Cherchant par exemple à se démarquer de N. Sarkozy, il s’est prononcé, dans l’émission « j’ai une question à vous poser », contre la discrimination positive. Cela ne l’empêche pas en même temps de vouloir réserver 10% des places en classes préparatoires aux lycées de banlieue. Si une telle mesure n’est pas de la discrimination positive, je veux bien manger mon chapeau ! Bref, le refus formel de la discrimination positive correspond plus à une attitude politique qu’à une véritable conviction.
Indéniablement, Fr. Bayrou est un homme de droite, et qu’il envisage de permettre à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, de créer deux emplois sans charge le prouve bien. A partir de cette orientation, le candidat du ni-ni pratique l’ouverture à gauche à outrance : il projette ainsi symboliquement de choisir un premier ministre socialiste parce qu’il veut, dit-il, « travailler aussi avec des gens qui ne sont pas de [son] bord ».
Pour séduire l’électorat de gauche, il reprend très ponctuellement certaines mesures du programme du PS, comme la réinstauration de la police de proximité, dont on sait pourtant l’inutilité, puisqu’elle ne fonctionne que le jour et que les actes de délinquances ont lieu la nuit. Il entreprend également de séduire les enseignants en promettant de maintenir le nombre de postes stable pendant les 5 ans à venir, autrement dit de maintenir le budget de l’Education Nationale à son niveau actuel. En pratique, je serais assez curieux de voir comment une telle promesse pourra être compatible avec son engagement de refuser tout budget en déficit de fonctionnement. Ou bien il y aura ailleurs des restrictions drastiques dont le candidat ne souffle mot (l'université ? la défense ? les retraites ?).
La stratégie de Fr. Bayrou est évidemment assez habile, car dans le cas où il ne parviendrait pas au second tour, il a toutes les chances d’être le troisième homme avec qui il faudra compter. Si par ailleurs il se hissait au deuxième tour, il serait un candidat redoutable, car il réunirait contre son adversaire du PS ou de l’UMP les voix du centre et de la droite dans un cas, celles du centre et de la gauche dans l’autre. Malgré tout, le pari me paraît très risqué, car il n’est pas certain que l’élection du président de la République au suffrage universel puisse suffire à dégager ensuite une majorité stable aux législatives pour gouverner. François Bayrou fait le pari qu’un certain nombre de membres du PS et de l’UMP viendront le rejoindre, ce qui n’est pas gagné d’avance (cela impliquerait d’ailleurs pour la gauche de renoncer aux trente-cinq heures !). Et surtout, quoi qu’en dise le candidat centriste, l’opposition idéologique entre la droite et la gauche est on ne peut plus réelle, et un gouvernement d’union aurait des marges de manoeuvre assez limitées sur les questions clés. Il ne serait pourtant pas souhaitable que le futur gouvernement, quel qu’il soit, échoue ou soit mis en difficulté comme c’est actuellement le cas en Italie, car ce serait ouvrir une large porte aux extrêmes.