Ayant regardé l'émission à vous de juger, jeudi dernier sur France 2, et ayant trouvé la prestation de Ségolène Royal meilleure qu'à l'accoutumée, j'ai cherché à comprendre d'où me venait cette impression. Cela ne tenait pas seulement à l'image plus détendue que la candidate avait réussi à donner d'elle. Non, il y avait autre chose : Ségolène Royal est, pour la première fois peut-être, parvenue à prendre véritablement une posture de présidentiable. Pourtant, je voudrais montrer que cette posture a d'abord pour but de tromper l'électorat en lui faisant oublier le débat de fond.
Ségolène Royal a voulu se situer au-delà des partis, en particulier, bien sûr, du PS : "Si vous m'apportez votre vote, a-t-elle dit par exemple, je ne dirai pas que c'est le parti socialiste qui a gagné l'élection présidentielle et qu'on va refaire comme avant". "Aujourd'hui, je reprends toute ma liberté", a-t-elle même dit en début d'émission. Bref, si elle est élue présidente, elle fixera le cap et les grandes orientations, tandis que les ministres auront à trouver les solutions les meilleures pour respecter ces orientations. "Trouvez-moi ce que vous voulez, a-t-elle dit en s'adressant sur le plateau à un gouvernement fictif, mais je veux taxer davantage le capital que le travail".
Si cette nouvelle posture est intéressante et donne à S. Royal davantage une carrure de président, à y regarder de plus près, elle me paraît fondée sur une vaste supercherie.
En s'affichant en effet comme celle qui fixera le cap, S. Royal parvient à se défausser de toute explication sur la mise en oeuvre concrète de son programme. C'est ainsi que lorsqu'on lui demande comment elle financera les retraites, elle répond : "Je vous ai dit que je ne répondrai pas à des questions techniques qui relèvent d'un secrétariat d'Etat au budget et d'un ministre de l'économie et des finances. Moi je trace les grandes orientations, et j'ai la conviction chevillée au corps [toujours cette expression !] que la France peut reprendre la main." Tout en se disant attentive à la question de la dette, la candidate du PS laisse donc le soin à ses futurs ministres de se préoccuper du financement de son projet. Le procédé est un peu facile.
D'autre part, le cap fixé par Ségolène Royal est tout sauf déterminé. Revenons sur les grandes questions abordées lors de l'émission. Pour les 35 heures, la candidate propose d'ouvrir "après les élections une négociation globale sur la croissance et les revenus". Pour l'Education et le recrutement éventuel d'enseignants supplémentaires, S. Royal souhaite faire avant toute prise de décision "des états généraux de l'éducation". Pour la réforme des retraites, elle propose d'organiser "une conférence sur les retraites". Pour les financements des Universités, elle se dit prête à "mettre toutes les idées sur la table" pour en discuter !
Vouloir nouer un véritable dialogue avec les partenaires sociaux est évidemment en soi une bonne chose, mais qui ne voit que sous prétexte de futures négociations, S. Royal se refuse à présenter un programme clair et cherche éviter le débat de fond derrière une posture ? Elisez-moi, et nous réfléchirons ensemble à un projet. Voilà ce que nous dit plus ou moins la candidate du PS.
Il ne reste plus qu'à envelopper le tout d'un discours visant à instiller la peur de N. Sarkozy et de la droite dans l'esprit des Français. Je relève pour le plaisir quelques formules démagogiques à souhait et appuyées dans le contexte sur aucun argument : "La droite croit qu'avec la précarité on fait de la sécurité économique" ; "Si la droite repasse, les émeutes que nous avons connues dans les banlieues ne sont rien par rapport à celles que nous connaîtrons." ; "N. Sarkozy détruit les solidarités de base". S. Royal est finalement loin d'élever le débat, et c'est bien regrettable non seulement pour les électeurs de gauche, mais pour l'ensemble des Français, qui attendent sur un certain de nombre de grandes questions une prise de position nette et argumentée.