En déplacement en Guadeloupe, François Bayrou a annoncé hier qu'il supprimerait l'Ecole Nationale d'Administration s'il était élu président de la république. A dire vrai, je crois que je n'avais jamais entendu proposition aussi démagogique de la part du candidat centriste, et si je ne pensais pas que la politique est chose sérieuse, je croirais volontiers à un poisson d'avril.
L'objet de ma note n'est pas de défendre l'ENA à tout prix, et je ne conteste pas que cette prestigieuse école ait pu conduire à un formatage des élites parfois nuisible. Mais on ne peut décider ainsi sur un coup de tête, sans le moindre débat, de rayer d'un trait de plume une école qui a plus de 50 ans d'existence. A trois semaines du premier tour des présidentielles, Fr. Bayrou cherche évidemment par un effet d'annonce à reprendre la main, et en son genre, sa proposition vaut bien celle que faisait récemment S. Royal d'installer des drapeaux français à toutes les fenêtres. Mais jusqu'où s'arrêteront-ils, pour reprendre une formule de Coluche ?
Oui, une telle proposition est pure démagogie, dans la mesure où elle prend appui sur une forme de haine diffuse du peuple français pour les élites. Et pourquoi pas supprimer l'ENS comme le voulait Bourdieu, tant qu'on y est ? N'en déplaise à certains, la France, tout comme n'importe quel pays, aura toujours besoin d'une élite, et la vraie question n'est pas de la supprimer, mais de veiller à ce que cette élite puisse autant que possible être issue de toutes les classes sociales, ce qui est possible par exemple par l'instauration de bourses au mérite ou au besoin, ponctuellement, par de la discrimination positive.
Ce qu'il faut, c'est pousser tout le monde vers le haut, et non pas couper les têtes qui dépassent. Mais François Bayrou le sait bien, et c'est la raison pour laquelle il s'empresse d'ajouter qu'il remplacera l'ENA par "une école de haut niveau, une école des Services Publiques". Comme si l'ENA n'était pas déjà une école de haut niveau ! Tout en faisant mine d'adhérer à l'opinion populaire selon laquelle les énarques seraient des incompétents, Fr. Bayrou ne fait que remplacer un mot par un autre. Il ne supprime pas l'ENA, il la rebaptise.
Il y a fort à parier que le candidat de l'UDF n'entrera pas dans les détails sur les différences qu'il imagine entre l'ENA et la future Ecole des Services Publics. En réalité, il se soucie peu pour l'instant de la forme que pourrait prendre cette ESP, mais, profitant d'un ras-le-bol général des Français pour une certaine manière de faire de la politique, il poursuit sa stratégie de casse systématique de la vie politique française et immole ainsi l'ENA sur l'autel de la vindicte populaire. Si les Français s'y laissent prendre, ils seront floués. Qu'une école comme l'ENA produise un formatage des élites est on ne peut plus normal : créée par l'Etat et pour l'Etat, elle ne peut que déboucher sur une certaine uniformisation des élites et l'ESP, fût-elle made in Bayrou, ne saurait échapper à la règle.
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