White – Campbell © Ça et Là – 2012
Le Dramaturge est un homme d’âge mûr. Célibataire, il a pourtant connu plusieurs femmes, certaines l’aimaient mais il a grandi à mauvaise école et l’éducation qu’il a reçue ne l’a pas préparé à gérer ses sentiments. Jeune, il a été placé en Internat. Puis vint le Service Militaire, la Guerre… à force de côtoyer des individus du même sexe que lui, il a pris l’habitude de recourir aux plaisirs solitaires et d’assouvir ses fantasmes par procuration. Lors de son service militaire à l’étranger, il a saisit l’occasion de créer et de faire fructifier un petit service d’import de sodas. Cette manne financière inespérée l’a mis définitivement à l’abri du besoin. Vint ensuite l’écriture, une première publication a remporté un succès rapide. Les remises de prix ont ensuite jalonnés toute sa carrière de dramaturge.
Le Dramaturge est un homme consciencieux, froid. Il ne va jamais aborder les autres et son attitude n’invite pas ces derniers à venir nouer un brin de conversation avec lui. Il reste solitaire, profitant d’une vie très ritualisée, très conventionnelle et dépourvu de tout affect.
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La sobriété de la narration fait pourtant vivre ce personnage apathique et ce qui le rend intriguant, c’est cette lucidité quant à sa situation. Le sentiment de détachement est d’autant plus renforcé que les personnages que l’on croise dans l’album sont nommés par leur fonction sociale : la prostituée, le comptable, l’infirmière, l’oncle, la papetière… au final, la récolte de prénom est maigre mais pas inexistante, car dans les derniers chapitres de l’album (qui en compte 10 en tout), sa vie prend un autre tournant… permettant au lecteur de ne pas rester sur l’impression d’un récit linéaire.
Il se sent une capacité à accepter les autres que son éducation dans une école prestigieuse, sa solitude au service militaire et le rejet de sa famille avaient depuis longtemps effacées.
Les couleurs toniques du visuel de couverture, quoique aguichantes avant lecture, ne rendent pas compte de ce qui se passe à l’intérieur de l’album. C’est certainement pour cette raison que je reste sur une impression de surprises permanentes : la première étant liée au premier contact que l’on a avec ce personnage, bien morose comparé aux jeunes femmes dévêtues qui gigotent sur ce vert pastel de la couverture. Ensuite, la logique de cet homme est si déstabilisante, ses pensées sont parfois si laides (il n’a que peu de respect pour les autres sauf rares exceptions) mais toujours argumentées, qu’une forme d’empathie a fini par prendre le dessus sur le scepticisme qui émergeait après avoir lu quelques pages du récit.
L’objet en lui-même est superbe : un petit album à la couverture cartonnée, un format à l’italienne, un papier mat et épais… une nouvelle fois je voudrais remercier la qualité du travail éditorial que fournit de manière systématique Les Éditions Ça et Là (voir En mer, Elmer, Château l’Attente # 1 ou encore Bottomless Belly Button pour ne citer qu’eux). Cet album était également pour moi l’occasion de découvrir un autre aspect de l’œuvre d’Eddie Campbell que je ne connaissais que sur From Hell. Très critique à l’égard du travail qu’il avait fourni à cette occasion (en référence à ma chronique sur From Hell, je décrivais un graphisme lourd, pesant au point de desservir le scénario d’Alan Moore), je restais sur un apriori négatif à l’égard de cet auteur. Ces derniers mois, je m’étais pourtant laissé séduire par la lecture de la présentation d’Alec (récit autobiographique). Dans le présent ouvrage, point d’austérité si ce n’est celle induite par le « héros ». Je constate avec plaisir que la couleur soulage et rend plus lisible le graphisme de Campbell. Quoi de mieux qu’une explication en images :
Les chroniques : L’accoudoir (« Une réflexion lucide sur l’âge, le sexe et la création artistique, transpercée d’ironie »), CoinBD, BLDD.
Je remercie les équipes de Libfly et de Ça et Là pour ce partenariat.
Extraits :
« Le Secret, son scénario de 1978 récompensé par un prix, était en grande partie inspiré par son frère aîné, handicapé mental. Et depuis sa diffusion à la télévision, le dramaturge est persona non grata. Le dramaturge regrette de n’avoir plus de famille. Mais il ne laisse jamais un bon matériau se perdre » (Le dramaturge).
« De la même façon, le Dramaturge ressent un soulagement presque pervers chaque fois qu’il apprend qu’un vieil ami a un cancer de la prostate. Car, raisonne-t-il, une telle nouvelle réduit statistiquement le risque qu’il soit lui-même affecté de la sorte » (Le Dramaturge).
Le Dramaturge
Catégorie Métier/Fonction
One Shot
Éditeur : Ça et Là
Dessinateur : Eddie CAMPBELL
Scénariste : Daren WHITE
Dépôt légal : juin 2012
ISBN : 978-2-916207-73-5
Bulles bulles bulles…
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