Source : Le blog de Michel Baglin
Sa femme Muriel vient de m’annoncer le décès subit de Bernard Mazo, survenu hier samedi 7 juillet, à Gassin où il
séjournait comme chaque été. Il a succombé à un arrêt cardiaque, apparemment sans souffrances. Il avait 73 ans.
Je
suis encore sous le coup de l’émotion, d’autant plus abasourdi par cette nouvelle que nous les attendions, lui et Muriel, à la maison ces jours-ci et que je l’ai eu au téléphone la semaine
dernière, en belle forme semblait-il.
Heureux de l’acceptation par les éditions du Seuil de sa biographie de Jean Sénac, il se faisait une joie de participer à la fin de ce mois au Festival des Voix vives de la Méditerranée à Sète,
dont il était un des plus fidèles animateurs, et d’y retrouver tous ses nombreux amis.
Le tragique et l’appétit de vivre
Bernard Mazo est né le 13 avril 1939 à Paris, où il vivait. Poète, il a publié une dizaine de recueils et reçu le prix Max Jacob pour « La cendre des jours » .
Son dernier recueil, « Dans l’insomnie de la mémoire » , a paru chez Voix d’encre l’an dernier. Il a connu la guerre d’Algérie. « J’ai eu vingt ans
dans les Aurès, où je suis resté cloué, triste rêveur éveillé, vingt-sept mois durant », confie-t-il, ajoutant : « sans la poésie et la lecture des poètes, sans la chaleur
partagée de leur parole, sans doute aurais-je sombré dans le désespoir ». L’épreuve l’aura en tout cas suffisamment marqué pour en faire un anticolonialiste convaincu et pour que l’exil
devienne un de ses thèmes majeurs,
Ses thèmes – la dépossession de soi par le temps, l’étrangeté du monde, etc. revenaient plus épurés que jamais dans chacun de ses recueils. Ils sont toujours confrontation au silence. Silence de
l’âge venu et des pages tournées dans « l’obscure rumeur du temps », hébétude lorsqu’on se penche sur « cette vie qui nous appartient si peu ». Sans oublier
cette sorte de silence qui tient à « ce vide douloureux entre les choses et ce qui les nomme ». Car l’adéquation des mots et des choses n’est pas plus acquise que celle de soi
et du monde dans l’œuvre de Bernard Mazo. C’est que « le poème ne peut se fonder que sur ce qui est condamné à mourir » et que la conscience tragique et douloureuse de la
finitude est la source même de sa poésie.
Bernard Mazo n’en était pas moins en prise avec le réel, l’autre, l’amour, et sa poésie témoigne aussi de son appétit de vivre. « On n’est pas quitte avec la vie en l’éludant. / On est
quitte avec la vie en l’épuisant », prétendait-il.
La revue Phoenix (qui a succédé à Sud et Autre Sud) lui a consacré un dossier dans sa troisième livraison, en 2011.
Critique et animateur
Fin connaisseur de la poésie contemporaine, Bernard était aussi critique pour de nombreuses revues et fut codirecteur durant neuf ans d’Aujourd’hui poème. Certains de ses articles et
études ont été réunis en volumes et une biographie de Jean Sénac est en préparation au Seuil (il me disait récemment avoir terminé la correction des épreuves).
Secrétaire général du Prix Apollinaire, membre de l’Académie Mallarmé et du Pen-Club français, Bernard Mazo animait de nombreuses rencontres, débats, assurant avec générosité présentations des
auteurs et lectures. Il était aussi, bien sûr, un collaborateur régulier de revue-texture.fr auquel il a donné de nombreux articles.
Mais c’était, avant tout, un ami. Fidèle, chaleureux, qu’on repérait de loin à son chapeau et à sa manière de porter souvent une double paire de lunettes et sur le nez et sur le front… Bon
vivant, il nous réjouissait tous par sa présence, ses plaisanteries, sa faconde, qui n’ont pas fini de terriblement nous manquer.