Le mariage de Diélia Diallo

Publié le 07 juillet 2012 par Bababe


C’était un jour de juin, dans une banlieue nord parisienne. Des groupes de nuages se préoccupaient de masquer le soleil à tour de rôle. D’autres,  plutôt oisifs,  mouillaient de leurs gouttes d’eau, des groupes de jeunes filles et femmes pas moins sages que d’autres. D’autant que ces jeunes personnes ne cessaient d’effectuer des allers et retours dans leurs voitures  pour ramener des convives. Habillées avec prestance, elles secondaient Diélia Diallo qui tenait à dédier à sa mère absente, un des deux jours consacrés à fêter son mariage.


Elle souhaitait que cette fête fût traditionnelle, comme sa mère l’avait envisagée et préparée.

Seulement, un intrus se glissa dans la cérémonie. Et cela malgré la vigilance des gardiennes de l’impossible qui avaient proclamé tout haut qu'elles ne voulaient pas de sa présence.

Mais l'intrus, aussi sans gêne qu'un guugne ngintel*, s'invita sans se soucier de l'interdiction. Plus on chassait l'intrus, plus il revenait comme du mbalandiri, ces fines algues vertes recouvrant l'eau des marigots.

Cet intrus était aussi une eau. Mais l'eau qui prend sa source dans les yeux.

Ces yeux, étaient parfois ceux de la mariée, souvent de sa sœur aînée, et une ou deux fois, de ses frères et de son père. Ces Larmes qui s’échappaient entraînaient toujours celles de la marraine et de bien d’autres.

 Mais il ne fallait pas compter sur  l’opiniâtreté des voisines pour qu’elles abandonnent ce jour de bonheur à la tristesse. 

Elles formèrent  une ceinture de sécurité en tapant très fort sur un djembé pour endurcir les cœurs et empêcher toutes larmes. Elles réprimandaient chaque adulte qui se laissait aller.  Refusant que la tristesse s'immisce  dans la joie. Elles y veillèrent comme l'aurait d'ailleurs fait la mère absente  en pareille circonstance, rappela l’une d’elle, affirmant que l’absente fait partie de ceux que la mort n'empêche pas de vivre, et vont jusqu’à s’acheter leur linceul  qu’ils  gardent auprès d’eux, pour signifier qu’ils sont prêts.

 Peut-être parce que la mère absente était trop présente, ses enfants ne sont pas parvenus à faire leur deuil, alors qu'elle s’en  est allée depuis bientôt dix ans.

Les gardiennes se relayèrent et continuèrent de taper très fort sur le djembé.

 Seule la puissante voix d’Oumou Sangaré pouvait interrompre le brouhaha souhaité du djembé. La mariée avait commandé une chanson de la star malienne que sa mère affectionnait. La reine du Wassoulou rugit. Aussitôt des pas de danse l’accompagnèrent.

Par deux fois, la machine magique transmettant la voix de la star, s’arrêta net.  Cette magie aurait-elle deviné que dans certaines de leurs régions, ses semblables n’étaient pas en état d’écouter leur diva qui avait tant dénoncé la condition de la femme dans ses chansons.

L’autre musique, pour qui y trouve un intérêt, fut celle se dégageant des voix de la mariée, sa sœur et ses frères, quand dans  un peul sans faute, ils s’exprimaient avec un délicieux accent français.

Toute une musique,  leurs : « Gogoo Haby Ly, Nénee Diaara, Nénee Coumba…. ! »

*Les Cadeaux comme intermède…

Les cadeaux furent nombreux et se déclinèrent en plusieurs sortes. D’abord, ce fut ceux des beaux-parents, présentés par une belle sœur  à l’air paisible. Elle exposa le contenu de trois blanches corbeilles,  garnies avec un tel raffinement, qu’elles auraient trouvé leur place au palais de Buckingham où se célébrait au même moment un jubilé.

Ces corbeilles destinées à la reine du jour, laissèrent place à une grande malle. L’ambiance un peu plus détendue, faillit  s’alourdir encore une fois à son ouverture. C’était la malle que la maman avait préparée et laissée à sa fille. Son contenu se transforma en émotion difficilement contrôlable.

Et là, pour contrer cette émotion, et par solidarité avec cet acte posthume,  des cadeaux fusèrent : ceux des parents, des amis, des voisines,  et se déclinèrent en tissus, en vaisselles, en bijoux, en billets de banque, en parures de lits, et en un poignant poème.

   *Autres cadeaux   

(photo: père de la mariée et la marraine)

Sur un ton solennel, la voix du père de la mariée imposa le silence. S'adressant à la mère du marié, il dit:   "Aujourd'hui, ma fille est votre, et votre fils est mien. Par le lien du mariage, nos enfants ont consacré une alliance sacrée entre nos deux familles,  alliance que je souhaite indissoluble et féconde. Que leurs caractères s’accordent et  leur bonheur sera le meilleur cadeau à la mère de ma fille.... ».


A ce cadeau à la mère, le ciel avait ajouté un autre, celui de refuser au soleil de s'imposer ce jour de juin.  Il offrit son cadeau sous forme de pluie et de nuages. Le vent avait entrainé ses tourbillons, loin vers le Pacifique. Car des oiseaux migrateurs côtoyant le ciel avaient rapporté la chanson sur le boobo jam : Le jour du mariage d’une boobo jam*, le vent  se retient, la pluie tombe et les nuages cachent le soleil.

 

PS : Cette mère absente, c’est Anta Boye.  Peut-être, si les vaches qui "remplissaient" la cour de sa maison paternelle vivaient encore, d’aucuns reconnaîtraient  dans certains de leurs beuglements, la chanson qu’Anta Booye s’était dédiée à elle-même, Anta booyam toroodo, Anta Diallo baadum Bimbi et Bollol, Baadum Samba ibrahima.

Safi Ba

*guugne ngintel : terme wolof  qui signifie : pique assiette dans les cérémonies

*bobo jam : terme peul que l’on pourrait traduire (fille au bon présage)