Devant cette nouvelle fin de non-recevoir de Prince au sujet de sa future progéniture, Eva in London alias Bulldozer ne voit qu’une solution : le plan d’action sous Excel. A moi, la liste des dix raisons de faire un bébé. Pourquoi dix ? Ca fait bien, un point, c’est tout.
Une heure d’intense concentration plus tard, j’ai révisé mes exigences à la baisse sur le fond (cinq raisons pas très convaincantes, ça fera l’affaire) mais à la hausse sur la forme : comme aimait à le rappeler ma prof de français de première qui se désolait devant mes copies illisibles et striées de correcteur, celle-ci compte autant que le fond. Mon document Liste Princebébé.xls est un petit bijou esthétique. Mais je m’égare : j’ai une bataille à mener. A l’attaque.
Je m’approche de Prince avec un sourire à la fois conciliant et assertif (si, si, c’est possible) et déclare tout de go :
- Alors, mon chéri d’amour, je sais que tu aimes bien t’appuyer sur les faits pour décider, en conséquence de quoi j’ai dressé une liste…
- … des raisons de rester à Londres ? lance Prince, plein d’espoir.
- Euh, non, pas tout à fait, répliqué-je, momentanément décontenancée.
Je prépare bien une « liste des raisons de rentrer à Paris et ne jamais, jamais remettre les pieds à Londres », mais ce sera pour une autre fois. Rien ne sert de se battre sur tous les fronts. D’ailleurs, au besoin, je suis prête à échanger un bébé-là-tout-de-suite-maintenant contre deux ans de plus à Londres. Mais je garde cet atout dans ma poche pour le cas où les négociations piétineraient réellement. On n’en est pas là. Je reprends donc, guillerette :
- Non, mieux que ça. La liste des dix cinq raisons de faire un bébé.
Prince lève imperceptiblement les yeux au ciel. Eh oui, c’est encore de lui enlever sa liberté lui donner une descendance que je souhaite discuter. Il jette un coup d’œil discret à gauche, puis à droite ; non, décidément, pas moyen de fuir le conflit cette discussion. Il soupire :
- Très bien, montre-la moi.
Cinq fausses bonnes raisons d’avoir un bébé là-tout-de-suite-maintenant
1. L’argument existentiello-consommateur : un enfant, c’est le bonheur à l’état pur (faux). Donner la vie ! Mettre un enfant au monde ! Le voir s’éveiller ! Que rêver de mieux que former une belle famille Ricoré avec petit déjeuner dégoulinant de Nutella, de bonheur et tout le tointoin ? Comment ça, difficile de rejouer la Mélodie du Bonheur quand les marmots hurlent à longueur de journée parce que leurs parents épuisés n’arrêtent pas de les houspiller ? Mais si, tu verras, ce sera merveilleux.
2. L’argument romantique : un enfant, n’est-ce pas le plus beau des projets qu’un couple puisse mener ? Euh oui, le plus fatigant aussi. Mais, mon amour, je suis sûre qu’on arrivera à gérer la fatigue (faux) tout en restant soudés (faux, faux) et respectueux l’un de l’autre (faux, faux, faux).
3. L’argument gourmand : pendant neuf mois, c’est “permis de manger” (faux). C’est le seul moment de la vie d’une femme où elle peut se permettre d’avaler tout ce qu’elle veut sans prendre un gramme (faux) ni culpabiliser (faux, surtout si le gynéco est un homme) parce qu’après tout, il faut bien que le bébé ait sa ration de chocolat Lindt vitamines et nutriments. Comment ça, ça ne te fait pas rêver de voir ta dulcinée s’empiffrer ?
4. L’argument pro-mondialisation : quelle chance de pouvoir élever des enfants bilingues français-hongrois (faux) ! Ah, c’est vrai qu’on habite à Londres (le pauvre, il croit qu’on croupira encore ici avec des enfants en âge de parler. Ne détrompons point ce bienheureux). Bon, ben, trilingue alors : français-hongrois-anglais. Oui, je sais qu’il y a huit fois plus de demandes que de places au Lycée Français de Londres, que les jeunes filles au pair hongroises ça ne court pas les rues, et que ma mère voudra leur parler polonais. Un problème à la fois, ok ?
5. L’argument utilitaire-tendance-absurde : Plus on s’y met tôt, plus on aura fini tôt (vrai mais moyennement convaincant). Comme ça, on pourra profiter de notre retraite. Pour quoi faire ? Ben, je sais pas exactement, parce qu’il n’y aura plus d’argent pour nous en payer une, de retraite… des weekends en amoureux, par exemple. Euh, oui, comme maintenant. Sauf qu’on sera vieux, fatigués, et qu’on aura mal partout à cause de nos rhumatismes / notre arthrite / nos douleurs d’estomac. Mais on aura de merveilleux enfants pour s’occuper de nous… s’ils nous daignent encore nous adresser la parole) !
Comme vous le voyez, j’aurais été bien en peine de poursuivre ma liste qui, je le lis dans le regard apitoyé que Prince me lance, pèche tant par sa brièveté que son manque de substance. Néanmoins, il ne pipe mot, me dévisage longuement, et s’éclipse.
Prochain épisode : la contre-attaque, ou la liste des raisons de ne pas avoir d’enfants, par Prince. Et lui, il en a trouvé quinze, et elles sont toutes valables, na.