Dans cette dernière semaine de campagne avant le premier tour, le PS a appelé à diverses reprises les électeurs de gauche à un "vote utile" pour assurer la présence de Ségolène Royal au second tour. Le premier à le faire a été François Hollande, qui, le 15 avril dernier, déclarait : "Quand il s'est produit le 21 avril 2002, je ne peux pas considérer que la présence de Ségolène Royal [au second tour] sera une certitude." Il faut dire que le PS risque de voir son score grignoté sur sa gauche par plusieurs petits candidats, au premier rang desquels figure Olivier Besancenot, et surtout sur sa droite par François Bayrou.
La stratégie du PS a donc consisté à la fois à repousser François Bayrou le plus possible sur la droite et à brandir la menace d'une absence de la gauche au second tour. Le même François Hollande affirmait jeudi dernier : "Sans doute [François Bayrou] est-il le représentant d'une droite plus humaine et plus prudente, mais de la droite quand même. [...] Le seul objectif de Bayrou, ce n'est pas de battre Sarkozy, c'est d'empêcher la gauche d'être au second tour."
Il est possible qu'au final cette stratégie se révèle payante au premier tour, puisque les sondages laissent voir un tassement des intentions de vote pour le candidat de l'UDF au profit de S. Royal. Les propositions d'une alliance avec l'UDF faites par M. Rocard et B. Kouchner n'ont, semble-t-il, pas affecté outre mesure la campagne de la candidate. Il faut dire aussi que la démarche ne servait François Bayrou qu'en apparence, car au final cette proposition d'alliance, à laquelle ce dernier s'est dit sensible, a fait apparaître dès avant le premier tour la fausseté du discours du candidat centriste : du rassemblement des meilleurs à la base de la stratégie de l'UDF, on est retombé dans les calculs d'appareil et le clivage gauche-droite pourtant tant décrié par François Bayrou.
Mais quelle que soit l'issue du premier tour, force est de constater qu'aussi bien les propositions d'alliance avec l'UDF que l'appel au "vote utile" (que S. Royal, par un de ces euphémismes dont elle a l'art, appelle "vote conscient") sont un aveu de faiblesse du parti socialisme, qui, reconnaissant n'avoir pas su rassembler suffisamment, tente par des moyens parfois contradictoires de sauver le parti de la débâcle. Or, si le PS est aujourd'hui dans une situation aussi délicate, c'est avant tout parce qu'au lieu de proposer un véritable projet politique, il a construit sa campagne sur le "tout sauf Sarkozy". Ségolène Royal, qui, à bien des égards, est un produit de marketing, a été choisie par les militants sur la foi des sondages, parce qu'à l'époque elle était donnée comme la seule candidate à pouvoir battre Sarkozy au second tour. La stratégie du "vote utile", même si elle a pour vocation première de sauver le PS, s'inscrit elle aussi dans cette logique.
Mais bien qu'une telle stratégie soit susceptible, en provoquant un sursaut résigné en faveur de S. Royal, de permettre au PS d'entrer en lice pour le second tour, elle n'en reste pas moins de la petite politique, car au fond, elle revient à dire "votez pour nous, parce que, même si ce n'est pas la panacée, les autres, ce sera pire." N'étant pas un électeur de gauche, le cas de conscience ne se posera certes pas pour moi ; toutefois, si à court terme, "le vote utile" peut sauver le PS, dans l'absolu, j'en trouve le principe détestable, et je ne rentrerai jamais dans ce jeu si la situation devait se présenter à droite. Ce n'est pas aux électeurs, en effet, de s'adapter à la médiocrité des candidats, mais c'est aux candidats de faire en sorte de mériter le vote des électeurs. On a les dirigeants qu'on mérite, et accepter le principe du vote utile, c'est évidemment se préparer à être dirigé par des médiocres...