Quand ACTA et INDECT se camouflent dans les tuyauteries européennes

Publié le 08 juillet 2012 par Copeau @Contrepoints

Chez les rares citoyens européens un peu au courant de ce qui se passe au Parlement, c'est le soulagement : le grignotage compulsif de nos libertés, notamment d'expression et particulièrement au travers d'internet, semble avoir marqué une pause avec le rejet du traité ACTA bien relayé par la presse. Je dis "semble", car en pratique, rien n'est vraiment arrêté.

Avant d'aller plus loin, un petit rappel sur ACTA s'impose certainement si vous n'êtes pas, justement, de ces rares citoyens au courant de ce qui se trame au Parlement.

J'ai déjà évoqué ou détaillé le sujet dans plusieurs billets (dont celui-ci) : en pratique, ACTA est un traité qui vise à établir une norme internationale pour la gestion des droits de propriété et droits d’auteurs correspondants, dont on comprend assez rapidement qu'il vise, notamment, tout ce qui se passe sur internet : il s'agit de réguler massivement tout ce qui a trait à la copie, le copyright, et la diffusion d'information en général. ACTA, c'est HADOPI, en version non bancale, au cube et poussé internationalement. Si la version française prête à rire et laisse croire aux bouffons de la trempe d'un Pascal Nègre qu'elle a un quelconque effet sur le piratage, la version internationale, elle, permet bel et bien d'offrir un boulevard à tous les petits Big Brother qui sommeillent dans chacune de nos élites dirigeantes.

(Pour votre édification personnelle et si vous avez du temps à perdre, un décryptage extensif du projet de traité ACTA est disponible ici.)

Et c'est donc avec joie qu'on apprend que le Parlement Européen a utilisé, pour la première fois depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, son droit de rejet dans la procédure d'approbation lancée pour ACTA. C'est l'un des trois types de processus législatifs possible entre les institutions européennes (la Commission, le Parlement et le Conseil). Ici, nous avons évité la procédure en codécision qui est normalement celle employée pour ce genre de traités internationaux. Et pour ceux qui, au fond, s'agitent avec le bras levé en me demandant à quoi ça ressemble en détail, voici un petit schéma qui résume le processus de codécision :

Oui, je sais, ça pique les yeux mais je n'y peux rien, je vous présente ce qu'on me donne comme ça vient paf comme ça. Pour la procédure d'approbation, je n'ai pas de petits schémas, mais c'est plus simple : si le Parlement dit niet, le projet tombe à l'eau.

Bref : le traité a donc été repoussé par le Parlement Européen, en séance plénière, et avec une franche majorité de contre. Dans les 39 "pour", on notera cependant la présence d'une grande majorité de députés européens français. Décidément, la France n'en finit pas d'éclairer le monde avec ses belles paroles hypocrites mises en pratique par la fine fleur du corporatisme et du politicien gravement lobbyisé. Et pour que personne n'oublie les noms de ces députés qui ont eu le courage de se laisser tenter par le pot de confiture, en voici la liste :

Jean-Pierre AUDY, Nora BERRA, Alain CADEC, Michel DANTIN, Rachida DATI, Marielle GALLO, Jean-Paul GAUZES, Francoise GROSSETETE, Brice HORTEFEUX, Philippe JUVIN, Alain LAMASSOURE, Agnes LE BRUN, Constance LE GRIP, Veronique MATHIEU, Elisabeth MORIN-CHARTIER, Maurice PONGA, Franck PROUST, Dominique RIQUET, Jean ROATTA, Marie-Therese SANCHEZ-SCHMID, Dominique VLASTO

Aux prochaines élections, vous saurez donc pour qui ne pas voter. Mention spéciale pour la frétillante Rachida, qui, probablement consciente que son nom, mêlé à cette belle bande de tocards, risquait de carboniser une réputation déjà catastrophique, s'est réfugiée bien vite sur l'excuse "j'ai appuyé sur le mauvais bouton" option "c'est mon boîtier de vote qui ne marchait pas". Au passage, le manque de courage et le pathétique de toute cette micro-affaire en dit long sur la valeur des gens qui siègent au Parlement.

Mais voilà.

Tout n'est pas si simple dans le monde merveilleux de la bidouille légale pour enfumer les peuples ; ainsi, pendant que les parlementaires votaient, la Commission Européenne attend le jugement de la Cour Européenne sur la validité du traité.

Et parfois, dans un moment de sincérité ou d'égarement, un politicien laisse échapper une vérité, comme dernièrement Karel de Gucht. Il s'agit du Commissaire européen au commerce. C'est un Belge, qui fut anciennement ministre des affaires étrangères du Royaume, d'ailleurs connu pour avoir fraudé le fisc, et qui est directement intéressé au débat ACTA de par sa position actuelle ; il a déclaré, sans broncher, aux parlementaires européens :

Si vous votez négativement avant le jugement de la Cour Européenne, laissez-moi vous dire que la Commission poursuivra cependant la procédure courante auprès de la Cour, comme nous pouvons le faire. Et ce vote négatif n'arrêtera pas la procédure. Si la Cour remet en question la conformité du Traité, nous évaluerons comment nous pouvons répondre à ses remarques.

Et comme le Parlement a, malgré cet "avertissement", rejeté le traité, le gentil Karel a embrayé :

Premièrement, je vais proposer quelques clarifications sur ACTA. Par exemple sur ce qu'on va mettre en place concernant l'environnement numérique... Nous pourrions par exemple chercher à clarifier le sens de "échelle commerciale". Deuxièmement, une fois que nous aurons discuté ces clarifications éventuelles, je proposerais de faire une seconde procédure d'approbation auprès du Parlement Européen.

Vous la sentez bien, là, sa grosse démocratie en action ? Elle peut se résumer par le maintenant célèbre "Si le premier vote est défavorable, faites revoter" qui fut en vigueur pour les précédentes tentatives européennes d'intégration. Ici, normalement, le citoyen responsable et conscient de son vote s'empresse de demander la démission de Karel de Gucht, ou, alternativement, qu'on l'enduise de goudron et de plumes.

Et le pompon, c'est que pendant que l'ACTA est repoussée par les parlementaires sous la pression populaire (car ne nous leurrons pas : si les peuples avaient regardé ailleurs, ACTA serait passé), l'Europe est déjà en train de préparer l'étape suivante, habilement camouflée dans la tuyauterie imposante du monstre législative (cf. ci-dessus, le schéma qui pique les yeux). En effet, l'encre du "NON" à ACTA est à peine sèche qu'on apprend l'existence de INDECT.

Vous ne savez pas ce que c'est ? C'est normal : personne n'en a parlé. Il s'agit d'un projet de recherche européen de surveillance globale des citoyens et de détection des "actes anormaux" (menant à des crimes & délits) au moyen de l'analyse automatisée des flux de données en provenance des caméras de surveillance (CCTV). La description du projet est disponible en anglais sur la page wikipedia qui y est consacrée.

On comprend assez vite que, comme d'habitude, sous prétexte des meilleures intentions (fliquer tout le monde accroître la sécurité des moutons citoyens), on se retrouve rapidement avec l'outil rêvé de toutes les dictatures : un très grand pouvoir dans les mains d'un nombre très faible de personnes qu'il sera facile de contrôler. Au nom de cette sécurité qui semble tant préoccuper les politiciens lorsqu'il s'agit de mettre en place ce genre d'outils (moins lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes courants et factuels, hein), le consortium INDECT se propose de mettre en place un robot qui épluchera minutieusement tous les sites et forums internet ainsi que les flux vidéos chopés un peu partout.

Youpi.

Du reste, dans la Foire Aux Questions disponible sur le site officiel, lorsqu'on lit ce que les autorités cachent sous le vocable d'"actes anormaux", on comprend qu'il ne faudra pas d'efforts juridiques ou policiers trop violents pour modifier du tout au tout la teneur de l'outil utilisé.

e silence médiatique compassé qui accompagne le développement de ce projet est alors parfaitement logique, aussi logique que l'appel lancé récemment par Anonymous pour manifester contre ce projet. Finalement, aussi outrant soient les propos de Karel De Gucht, force est de constater qu'effectivement ACTA comme d'autres projets passeront.

Il suffira de faire revoter, et/ou d'être plus discret.
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