Historiquement, la « Question d’Orient » désigne la lente implosion de l’empire Ottoman qui occupa la diplomatie européenne à plein temps ou presque, de la fin du dix-huitième siècle à la signature du traité de Lausanne en1923. Pour faire très court, ce traité actait la création de la Turquie « moderne » et confirmait l’indépendance des pays arabes. Parmi eux la Syrie dont l’administration fut provisoirement confiée par la SDN - le « machin » proto onusien de l’époque - à la France éternelle et civilisatrice. S’en suivit une relative période de paix, à peine troublée par les conflits israélo-arabes à répétition et les horreurs des guerres civiles libanaises. Et voilà qu’avec la guerre civile - puisqu’il faut l’appeler par son nom - c’est reparti à donf du côté de Damas et d’Alep. Pas question pour le p’tit père Hollande de passer à côté de cette occasion historique d’être enfin pris au sérieux par la « communauté internationale ». D’où l’organisation récente à Paris d’une Grande Conférence des « Amis du Peuple Syrien » dont la conclusion est impressionnante de fermeté : « Bachar al-Assad devrait abandonner le pouvoir »…
Les peuples heureux n’ont dit-on pas d’histoire. C’est sûr qu’à l’aune de cette maxime, les Syriens sont mal partis et que ça ne date pas d’hier : Cananéens, Phéniciens, Assyriens, Babyloniens, Hittites, Perses, Grecs, Romains, Byzantins et Arabes, la région n’a jamais manqué d’envahisseurs plus ou moins bien intentionnés. Sans compter plus récemment les Croisés et les Turcs, sans oublier non plus notre très distingué camarade Lawrence d’Arabie et ses copains Saoudiens. Raison de plus pour ne pas en rajouter une couche en allant jouer les cow-boys dans les djebels locaux : John Wayne est donc prié de rester chez lui, l’Occident n’a rien à gagner en allant s’embourber dans ce cloaque ancestral de rivalités tribales inexpiables et de guerres de religions plus ou moins larvées qu’est à l’évidence la Syrie. C’est certes moche pour les malheureux civils du cru qui ne demandent probablement rien à part qu’on leur foute la paix, mais l’aventure libyenne et ses débordements sahéliens a récemment prouvé qu’il peut-être préférable de laisser les Orientaux résoudre eux-mêmes leur éternelle « Question d’Orient ».
A part Hollande, il semble que tout le monde l’ait compris. Pour paraphraser le regretté Samuel Huntington, la civilisation de la (vraie) galette-saucisse n’a aucun intérêt à provoquer un choc avec celle du kebab-frites sur le terrain syrien. Même Obama semble être sur cette ligne. Sans parler de ce gros malin de Poutine qui se dit qu’il vaut mieux vendre des armes à un régime dictatorial plutôt que d’envoyer le cuirassé Potemkine et les marins de Cronstadt canonner les plages d’un bon client. En plus, pour trouver le « Chemin de Damas », y’a tout ce qui faut dans la région : les monarchies pétrolières pour le financement et la Turquie en plein renouveau nationaliste pour jouer les gros bras. Avec en prime la neutralité bienveillante de « Restons Correct ! » qui vaut largement une résolution du Conseil de Sécurité. Cerise sur le gâteau, pendant qu’ils seront occupés à rétablir l’ordre en Syrie, nos amis les Turcs ne nous gonfleront pas avec leur hypothétique admission au sein de l’Union Européenne. Avec un peu de chance ils lâcheront même les baskets de ces pauvres Chypriotes qui ont, semble-t-il, d’autres chats à fouetter, financiers notamment…
Notre admonestation du jour sera donc pour l’excellent BHL : Sois mignon coco, pour une fois fermes la !