Dernière étape de notre mini-périple en pays d'Ans (Dordogne), le village de Tourtoirac méritait une visite à au moins deux titres. L’ancienne abbaye Saint Pierre-es-liens, d’abord, et l’extraordinaire destin du premier roi de Patagonie.
Les vestiges de cette importante abbaye bénédictine construite entre 1003 et 1025 sont intéressants : l’église est massive, elle présente deux énormes clochers et un chœur triconque (formé de trois chapelles, mais celle orientée à l’est s’est écroulée), on y pénètre par un portail situé juste derrière le chœur.
On y remarque la hauteur de la voûte, et l’étrange sculpture d’un soutien de colonnette à la bouche béante.
Il ne reste pas grand-chose du cloître, si ce n’est de beaux chapiteaux englobés dans la maison forte qui a dû plus tard servir de presbytère, ainsi que des bâtiments aujourd’hui désespérément vides.
Cependant, le plus incongru de la visite est une exposition permanente portant sur le personnage le plus célèbre de l’endroit, Antoine de Tounens (1825 – 1878), qui partit en Amérique du Sud conquérir la Patagonie. Débarquant au Chili en 1858, il va fédérer les tribus autochtones pour se tailler un royaume à lui tout seul ...
Orélie-Antoine traverse les terres du chef Mapuche Quilapan et, avec l’aide des tribus, se proclame roi de l’Araucanie-Patagonie en novembre 1860. Cet état est reconnu par le Vatican et, officieusement, par le gotha. Orélie-Antoine 1er dote son pays d’une constitution et fixe sa capitale à Perquenco. Le royaume a pour frontières au nord le rio Biobio (il aurait du succès chez les Verts aujourd’hui), et le rio Negro. Au sud, il s’étend jusqu’au détroit de Magellan et a pour limites les océans Pacifique et Atlantique, rien que ça. Expulsé par les Argentine et les Chiliens, Antoine de Tounens vient finir ses jours à Tourtoirac en 1878 et est enterré dans le cimetière du village.
Donc, en ayant une forte dose d’imagination, mais en se replaçant dans la perspective coloniale de l’époque – celle de la malheureuse expédition française au Mexique, entre autres, mais d’autres conquêtes réussirent - la Patagonie aurait pu être française. Voilà au moins un conflit colonial auquel nous aurons échappé. Ce qu’il y a de plus étonnant cependant, c’est que le successeur de ce roi en exil, le prince Philippe d’Araucanie (né en 1927), continue à conférer des titres honorifiques et des ordres royaux, intervient à l’ONU en faveur de la Nation Mapuche … L’utopie se poursuit. On croit rêver ….