Kriegenburg donne un Wozzeck d'une lisibilité extrême, avec une mise en scène toute au service de l'oeuvre. La scène est occupée par un caisson géant dans lequel se déroulera le drame: un caisson de la misère humaine avec ses murs nus suintants d'humidité, qui sera successivement salon de coiffure, maison de Marie ou cabinet médical. Le caisson géant est mobile, Kriegenburg le fait s'avancer vers l'avant-scène, il semble alors occuper alors tout l'espace scénique et l'action se concentre sur les protagonistes, ou le fait reculer avec de magnifiques effets de perspective qui le rapetissent et en rapetissent les occupants, la scène se remplit alors de la populace miséreuse ou de la piétaille militaire. Kriegenburg fait tomber une pluie incessante sur cette pauvre population qui patauge sur une scène inondée. Si les couleurs sont sinistres et misérables comme l'est l'esprit de l'oeuvre, un camaïeu de beiges et de bruns, tant pour le caisson que pour les costumes, le noir pour le monde extérieur, hors caisson, et des costumes noirs pour le peuple. Le metteur en scène met aussi particulièrement en relief le rôle de l'enfant, témoin le plus souvent muet de la misère familiale et sociale, et qui couvre les murs du caissons de graffitis de plus en plus déchirants, finissant par y traiter sa mère de putain.
Wozzeck qui a été monté en 1920 dans le sordide après-guerre allemand et qui reflétait bien la misère extrême de l'époque se rejoue aujourd'hui dans l'atmosphère pesante des crises contemporaines qui n'en finissent pas de générer des chômeurs dans une Europe qui manque cruellement de direction. Les horreurs évoquées dans l'opéra d'Alban Berg, le chômage, la mendicité, la pénurie, la folie qui s'installe et qui finit par devenir meurtrière, reçoivent à nouveau de sinistres échos dans des pays proches. Andreas Kriegenburg présente une population soumise et impuissante avec des images fortes, comme ces hommes portant autour des pancartes demandant du travail, comme ces hommes qui portent sur leurs dos une planche sur laquelle parade le tambour-major, ou plus loin, ces hommes à quatre pattes qui portent sur leurs dos tout un plancher sur lequel a pris place un orchestre. Un travail de mise en scène remarquable en tous points, qui installe une tension dramatique de plus en plus insoutenable, magnifiquement soutenu par l'équipe de Kriegenburg pour les costumes et les maquillages, les mouvements chorégraphiés ou les lumières.
Le travail de Kriegenburg paraît avoir été effectué en parfaite complicité avec la direction d'orchestre de Kent Nagano. Ces deux hommes étaient faits pour se rencontrer. Kriegenburg donne à voir ce que Nagano donne à entendre. Il est rare d'assister à une production où l'on a l'impression d'être comme un enfant émerveillé que ses parents placent au milieu d'eux en lui prenant les mains pour lui faire découvrir de nouveaux horizons. C'est que pour beaucoup, la musique atonale reste un paysage à découvrir. Kriegenburg donne à comprendre les duretés de l'humaine condition, la soumission de l'homme par l'homme, l'exploitation, la misère et le chômage, Nagano nous entraîne dans l'univers sonore d'Alban Berg avec des talents d'initiateurs. Il nous fait sentir la tension et la concentration progressive de la musique, il nous en indique le parcours. Il dirige un plateau de chanteurs en bonne partie issus de la troupe du Bayerische Staatsoper, ce qui permet un travail complice qui contribue à l'homogénéité de la production. Dans les rôles principaux, Simon Keenlyside et Waltraud Meier offrent la perspective d'une soirée exceptionnelle!
Distribution
Wozzeck Simon Keenlyside
Tambourmajor Roman Sadnik
Andres Kevin Conners
Hauptmann Wolfgang Schmidt
Doktor Clive Bayley
1. Handwerksbursche Christoph Stephinger
2. Handwerksbursche Francesco Petrozzi
Der Narr Kenneth Roberson
Marie Waltraud Meier
Margret Heike Grötzinge
Agenda
Le 22 juillet Cliquer ici pour la réservation en ligne
Photos: Wilfried Höschl