Ilarie VORONCA : Hommes de l’avenir

Par Unpeudetao

Hommes de l’avenir. Tout ce que je dis dans ce livre sera-t-il un jour
Comme ces légendes que l’on écoute sans y croire ?
C’était pourtant l’époque où j’ai vécu,
La gloire était pour quelques-uns seulement et ils parlaient de surproduction et de chômage et de statistiques,

Qu’ils faisaient fabriquer à leur gré en se moquant des chiffres
Comme des hommes. Et ces sentences de mort et de faim
Ces diagrammes, ces graphiques, ces index numbers
Ils les faisaient établir par des pauvres qui signaient aussi leur propre arrêt de misère.

Comment auraient-ils pu, ceux de mon temps, penser à vous hommes de l’avenir.
Dénués de tout : agenouillés devant des gardiens implacables
Comment auraient-ils pu penser encore ? Et pourtant s’ils avaient regardé dans les champs
Ils auraient vu qu’il n’y a jamais trop de fleurs, si belles dans leur simplicité.
Et les abeilles ? S’il y a trop de miel en sont-elles malheureuses ?
Et les rossignols : s’ils chantent trop en résulte-t-il du chômage ?

Vous ne saurez rien de tout cela, hommes de l’avenir
Vous pourrez voir, entendre, penser en toute liberté.
C’est ainsi que le soir je m’éloignais des habitants de la ville,
Qu’auraient-ils pu me faire, leur orgueil, leurs disputes ?
« Cet honneur, cette place sont à moi », disaient-ils.
Je sais Mais dans les champs
Un espoir, comme une herbe fraîche, après la pluie, reprenait vie.

La forêt n’était pas loin. On pouvait l’apercevoir
Comme une mer bien heureuse, aux arbres pareils à des navires,
Entourés de l’écume des nuages. Ils se tenaient là immobiles, ces arbres et cependant
Ils voyageaient à travers les saisons et les orages innombrables.

Une vie âpre était en eux : délires des sens
Qui ne sont qu’une conséquence de la marche : vue, odorat, ouïe.
Non, les arbres avaient mieux que cela : ils étaient mêlés à l’argile
Et au ciel : comme un sens plus vaste comprenant tous les sens
C’est là près de ces arbres que je voyais venir
Vers moi une autre forêt : celle des foules heureuses de l’avenir.
Quand ce temps sombre aura disparu. Et tous les hommes
Et leurs pensées, leurs joies, seront comme des vases communicants.

Ilarie VORONCA (1903-1946).

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