Le mot est tabou mais nous l'utiliserons.
Rigueur.
Deux mois après l'élection de François Hollande à la Présidence de la République, la rigueur se dévoile.
Du matraquage fiscal sarkozyste...
Après la note de conjoncture de l'INSEE qui avançait de sombres perspectives de croissance pour 2012/2013, rapidement reprises par le gouvernement Ayrault, la Cour des Comptes a livré son audit lundi matin. Sans surprise, nous avions la confirmation de la hausse record des prélèvements obligatoires décidée et votée lors de la précédente mandature: +1,4 point de PIB cette année, soit 23 milliards d'euros, dont 14 milliards de cotisations et impôts nouveaux. En d'autres termes, le matraquage fiscal dénoncé par les sarkozystes a bien eu lieu... mais l'an dernier.
La Cour des Comptes ajoutait une photographie connue mais bien terrifiante de l'état du pays: un dette publique à 86% du PIB et 90% l'an prochain; 102 milliards d'euros de déficit budgétaire, un chômage de masse et croissant; un déficit des échanges extérieurs record de 73 milliards. Compte tenu des faibles prévisions de croissance (0,3% cette année, peut-être 1% l'an prochain), il faudra améliorer les comptes de 33 milliards. Ces chiffres faisaient tourner la tête.
Les recommandations de la Cour étaient tout aussi terribles: stabilisation des frais de personnel, relèvement « mesuré » des impôts, réduction des dépenses publiqus. Concernant 2012, le précédent gouvernement s'était trompé de près de 5 milliards
d'euros sur les recettes, auxquelles s'ajoutaient 2 milliards d'impact
de la révision de croissance à la baisse.
... à la rigueur de gauche ?
Mardi, Jean-Marc Ayrault a obtenu la confiance de l'Assemblée, grâce aux votes des députés socialistes, radicaux et écologistes. Les communistes se sont abstenus tout en disant qu'ils n'étaient pas dans l'opposition. Les centristes de l'UDI présidés par Jean-Louis Borloo ont voté contre, tout en disant qu'ils resteraient constructifs. Allez comprendre...
Le discours de politique générale du premier ministre fut jugé trop long dans les rangs de la droite. A gauche, il sonna juste même si le redressement en fut le maître mot. Ayrault évoqua « la sauvegarde de notre modèle républicain, la pérennité de notre système social, le redressement économique pour l’emploi ». Il rappela les priorités de François Hollande, la jeunesse, la sécurité et la justice. Il promit une réunion sociale (la semaine prochaine), un Grenelle de l'environnement (à l'automne); une réforme fiscale; le mariage gay puis le droit de vote des étrangers aux élections locales. Son discours fut surtout celui d'une méthode: pas d'incantations, ni de provocations; traiter les Français « en adultes »; et « prendre le temps d’écouter, d’évaluer, de décider, de faire partager ».
Ceux qui lui reprochèrent d'être vague sur les prochaines mesures furent comblés dès le lendemain. Mercredi 4 juillet, une première salve fiscale et budgétaire assurait 7,2 milliards d'euros de recettes nouvelles, centrées sur les (grandes) entreprises et les ménages les plus favorisés: 2 milliards d'ISF supplémentaires, une taxation exceptionnelle sur les dividendes, un renforcement des droits des grandes successions, augmentation de la taxation des stock-options; imposition aux prélèvements sociaux des revenus immobiliers des non-résidents.
Qui râle ?
La défiscalisation des heures supplémentaires était partiellement annulée (4,5 milliards d'euros par an), mais la hausse sarkozyenne et générale de la TVA de l'automne également (11 milliards d'euros par an). Pour faire face à quelques dérapages du précédent gouvernement, environ 1,5 milliard d'euros de crédits étaient aussi gelés.
Sans attendre le détail de ce plan, un gestionnaire de fortune se paya une pleine page de pub dans le Monde mardi soir pour accuser Hollande de vouloir tondre les riches et les pauvres, et provoquer ainsi un exode massif de chefs d'entreprise.
Il nous fit beaucoup rire.
Pour 2013, le gouvernement promettait à nouveau 6 milliards d'euros d'imposition supplémentaires, ce qui, finalement, n'était pas si important au regard de la trentaine de milliards d'euros à trouver (18%). Les éditocrates chez Yves Calvi sur France5 ou du Grand Journal tel Jean-Michel Aphatie se régalaient du coup de vis.
Dès mardi, la ministre de la Fonction Publique fut envoyée au front, Marylise Lebranchu expliqua calmement qu'elle travaillerait à revaloriser le pouvoir d'achat des agents: « La page de la RGPP (Révision générale des services publics) est tournée ». Xavier Bertrand, habituellement calme, éructa contre elle qu'Ayrault s'apprêtait à réduire les emplois familiaux. Il délirait.
A l'UMP, la guerre interne se poursuivait. Fillon a annoncé sa candidature à la présidence, via Twitter. Dati s'en est moqué. « RoboCopé » piaffait d'impatience. Juppé a prévenu qu'il réfléchit. Nathalie Kosciusko-Morizet aussi. Même Hortefeux s'inquiétait du ridicule de tant de prétentions.
La rigueur appelle la critique.
Ce n'était pas une surprise. Hollande avait toujours placé le redressement des comptes comme sa priorité. Sera-t-elle juste ? L'épreuve commence. Y-a-t-il une alternative ? De multiples appels circulent, dont celui de Paul Krugman. Il faudra bien questionner la place des marchés, le rôle de nos banques centrales. Les co-présidents d'Attac et de la Fondation Copernic dénoncèrent la supercherie du pacte de croissance européen. Ils s'énervent que le pacte budgétaire Merkozy n'ait pas été renégocié mais simplement complété. Objectivement, c'est jouer sur les mots. Ils critiquent, comme d'autres à gauche, que les 120 milliards promis ne soient insuffisants. Sans doute. Mais n'aurait-il pas fallut les prendre ?
Ce climat économique défavorable entraîneait des tensions. Jérôme Cahuzac (Budget) a démenti tout projet de taxes sur les ordinateurs, une simple réflexion de sa collègue de la Culture Aurélie Filippetti. Quelques blogueurs de gauche se sont agacés de la voiture de fonction de Pierre Moscovici, ou des tenues de Najat Vallaud-Belkacem. Laquelle a corrigé l'expression de Marilyse Lebranchu qui évoqua le mot tabou de rigueur.
La critique n'avait pas besoin de rigueur pour s'exprimer. A gauche, la vigilance était intacte. A droite, le Figaro soulignait que la cote de popularité des ministres « était déjà en berne ». Question sondage, le Figaro s'y connaît depuis sa fructueuse collaboration élyséenne du temps de Sarkozy.
Ami sarkozyste, reviens.
Il faut payer.