Introduction : un sonnet dans la série de ceux qui s’intéressent à la création et aux conditions de la création. Le thème de l’art et du temps introduits dans le poème précédent : « le mauvais moine » est dramatisé à travers l’expression du « je » qui se met en scène à travers un tableau métaphorique de son existence.
Une vision cyclique de la vie
Le poème est construit sur une métaphore filée qui met en relation les cycles de la nature et les étapes de la vie du poète.
Ma jeunesse / Ténébreux orage – Brillants soleils – Tonnerre – Pluie – Ravage – Mon jardin – Fruits vermeils
L’automne des idées / Terres inondées – Eau – Fleurs nouvelles – Sol lavé
Les deux quatrains font le bilan de l’action du climat sur « le jardin » et « la terre » qui renvoient à la condition humaine et à l’état physiologique. Les deux tercets orientent la réflexion du côté de la création puisque le verbe « je rêve » associé au mot « fleurs » (au centre du vers 9 et au centre du sonnet) connote l’œuvre en gestation : « les Fleurs du mal ».
La conscience dramatique de la fuite du temps
Cette vision cyclique de la vie est portée par le sentiment romantique de la fuite du temps marquée par la succession des temps de l’indicatif utilisé au fil du sonnet : l’éloignement du passé souligné par l’emploi du passé simple : « ma jeunesse ne fut ». Le bilan de ces années lointaines garde l’empreinte toujours présente de la souffrance : c’est ce que traduit l’emploi du passé composé : « ont fait un tel ravage ». Tout naturellement, le présent finit par s’imposer aux côtés du passé composé : sous le soleil, rien de nouveau ... ! « Il reste en mon jardin... / Voilà que j’ai touché (...) / Il faut (...) L’eau creuse ». Au-delà de ce présent « ravagé » ne reste qu’un seul espoir marqué par la présence d’un futur frappé de doute : « Qui sait si (...) / Trouveront dans ce sol lavé (...) / Qui ferait leur vigueur »
La brièveté du temps est également montrée dans la succession d’images fulgurantes : « Ténébreux orage », « brillants soleils » dont le pluriel réduit encore l’impression de durée semblable à une étincelle. Elle est associée à l’idée de dégradation et de mort marquée par la présence de l’eau qui s’infiltre partout. Le lexique et les images préparent cette idée de mort annoncée qui culmine dans le dernier tercet de façon épouvantable : « Ravage » (au vers 3), « Des trous grands comme des tombeaux » (au vers 8).
Le titre du sonnet prépare la vision effrayante du dernier tercet : l’Ennemi, c’est implicitement Satan et le Mal. La périphrase qui le désigne revient au vers 13 accompagné de l’adjectif « obscur » qui accentue son caractère inquiétant. La menace du mal qui épouvante le poète est dramatisée dans ce poème à travers une allégorie qui donne des traits physiques à sa hantise : l’Ennemi prend clairement les traits du vampire (thème très en vogue pendant la période romantique et notamment dans l’œuvre du dédicataire des Fleurs du mal : Gautier et dans les Fleurs du mal : « les Métamorphoses du vampire »). Le vampire est présent à travers le mot « sang » et les verbes « mange » et « ronge ». Il apparaît comme l’expression ultime du temps écrit avec une majuscule : « le Temps ».