Cybersécurité, ou cyberdéfense ? quelles limites ? Ce débat fait rage parmi les stratégistes et spécialistes du sujet (et parmi les amateurs aussi). Mais c'est un débat confus, et la couche cyber ne fait que compliquer un flou préalable, entre défense et sécurité.
1/ Le flou vient du Livre Blanc sur la "défense et la sécurité nationale", publié en juin 2008. L'inclusion de la sécurité dans le spectre de la défense était sensée rendre compte d'un monde plus compliqué. Un retour aux textes s'impose.
- Dans le Livre blanc, l'objet est donné en fin d'introduction (p. 16) : Le LB "expose une stratégie non seulement de défense, mais aussi de sécurité nationale. Son objet est de parer aux risques et aux menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation. Les menaces peuvent provenir d’États et de groupes non étatiques transnationaux. Les risques peuvent résulter de catastrophes naturelles ou sanitaires qui appellent des réponses à l’échelle mondiale. Les atteintes possibles à la vie du pays peuvent être la conséquence soit d’intentions hostiles, soit de ruptures accidentelles. Dans tous les cas, la possibilité d’une atteinte à la sécurité nationale appelle un effort d’anticipation, de prévention et de réponse rapide, mobilisant l’ensemble des moyens des pouvoirs publics et la mise en œuvre de coopérations européennes et internationales. Cette stratégie inclut donc aussi bien la sécurité extérieure que la sécurité intérieure, les moyens militaires comme les moyens civils, la politique de défense proprement dite et la politique de sécurité intérieure et de sécurité civile, la politique étrangère et la politique économique. La définition d’une stratégie d’ensemble en matière de sécurité correspond à une nécessité nouvelle, qui s’impose à la France comme à l’ensemble de ses alliés et partenaires : s’adapter aux bouleversements engendrés par la mondialisation".
- Constatons au passage qu'il n'y a pas de distinction claire entre défense et sécurité.
- C'est pourquoi il est utile de revenir à la loi (sur la distinction entre le LB et la loi, voir ce billet) En effet, la Loi de programmation (LPM) de juillet 2009 donne des précisions, d'autant qu'elle modifie l'article 1 de l'ordonnance de 1959. Le nouvel article 1111 affirme : "La stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter. « L’ensemble des politiques publiques concourt à la sécurité nationale". « La politique de défense a pour objet d’assurer l’intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. Elle contribue à la lutte contre les autres menaces susceptibles de mettre en cause la sécurité nationale".
- On le voit, il y a beaucoup de renvoi à l’introduction du LB. Si on creuse attentivement, on s'aperçoit que :
- la sécurité "relève de l'ensemble des politiques publiques pour répondre aux risques et menaces"
- la défense "a pour objet d’assurer l’intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées"
Ainsi, selon le nouveau corpus stratégique, la sécurité remplace l’ancienne défense nationale (interministérielle) quand la défense relève simplement de la chose militaire, autrement dit du ministère de la défense.
2/ Pour autant, ce critère organique (pour une même politique, on utilise un mot différent selon l'organe qui va la mettre en œuvre) paraît peu suffisant. En effet, la distinction sécurité - défense a pu recouvrir d'autres articulations :
- l'une est issue de la prise en compte de la menace terroriste après le 11 septembre. La sécurité lutte contre le terrorisme, la défense contre des menaces plus traditionnelles.
- l'autre est également organique, mais va en dessous de l'échelon ministériel, pour s'intéresser aux agents du monopole de la violence légitime : alors, la sécurité serait chose de la police, et la défense serait chose des armées
- similaire serait la distinction géographique : la défense serait "à l’extérieur" (aux frontières ou en expéditionnaire) quand la sécurité serait "à l'intérieur", où les armées seraient intruses. D'ailleurs, c'est de façon opératoire ainsi que chacun le comprend, en distinguant la "sécurité intérieure" (sans trop se poser la question de savoir qui l'opère) et la "sécurité extérieure" (où l'on a tendance à considérer naturellement que c'est plutôt l'armée qui s'en occupe.
3/ On pourra se reporter à l'excellent article du CC Porcher (alors stagiaire à l'école de guerre) dans un article de la RDN d'août-septembre 2008 qui s’interrogeait déjà sur "défense versus sécurité". Il y montrait que l'élargissement de la défense, proposé par l'ordonnance de 1959, n'avait pas donné satisfaction. Ce à quoi on peut remarquer que son remplacement par "sécurité" ne devrait pas donner plus satisfaction, surtout en l’absence de définition. D'ailleurs, l'auteur poursuit en évoquant "deux conceptions de la sécurité nationale". La première est intravertie (sic), "il s'agit de la sécurité intérieure"; "la seconde dimension est plus globale" et "s'apparente à ce que les Anglo-Saxons nomment "grande stratégie" et que les Français nomment "stratégie intégrale". " L'auteur s'efforce alors d'expliquer que la défense est plus passive et la sécurité plus active : je dois dire qu'il ne convainc pas. Force est de constater qu'il demeure une certaine confusion. Même si on a essayé, en Afghanistan, de lier défense à l'extérieur et sécurité intérieure (voir ce billet).
S'étonnera-t-on alors que la même confusion existe également entre les termes de "cyberdéfense" et de cybersécurité" ? Non. Nous verrons cela dans un prochain billet.
O. Kempf