La plupart d’entre vous ne connaissent sans doute pas « Raboliot » le roman de Maurice Genevoix qui obtint le Goncourt en 1925, non plus qu’ils sauront que les Solognots nomment souvent ainsi les braconniers (de « rabouliot », jeune lièvre pas encore sorti du gîte). Votre lanterne étant éclairée je peux vous raconter les abracadabrantesques tribulations de deux braconniers de Gièvres (Loir-et-Cher) telles que rapportées par un article de Lionel Oger Deux braconniers surpris au petit matin (Nouvelle République 6 juillet 2012). J’y prêtais attention car une de mes amies orléanaises avait passé la plus grande partie de son enfance et sa jeunesse à Gièvres et qu’au surplus ce petit village est très proche de Selles-sur-Cher que je connais tout particulièrement.
Or donc, comme le signale l’article, cette affaire - jugée mercredi au tribunal correctionnel de Blois - s’est déroulée en trois étapes.
Le 18 février 2011 à 6 heures du matin « des agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) surveillent un véhicule qui leur paraît suspect car ses phares balayent les champs environnants et de surcroît, un coup de feu claque. Persuadés d’avoir affaire à des braconniers, ils interpellent deux hommes d’une soixantaine d’années ». Ils ne retrouvent aucun animal mort - Raboliot a peut-être perdu la main - mais trouvent du poil de lièvre et du sang de gibier dans le véhicule cependant que lors de perquisitions menées dans leurs domiciles respectifs à Gièvres, ils découvrent de la venaison de chevreuil dans les congélateurs ainsi que l’équipement nécessaire à la découpe du grand gibier dans un garage.
Voilà bien de quoi confondre nos deux braconniers. Que non point ! Renvoyés devant le tribunal correctionnel le 7 mars 2012 et « devant y répondre des délits de chasse de nuit à l'aide d'une source lumineuse, chasse sans permis et sans le consentement du propriétaire » ils contestent les faits et « obtiennent le renvoi de l'affaire tandis que le tribunal ordonne un supplément d'informa-tion pour entendre des témoins et faire expertiser le fusil à canons juxtaposés saisi lors de l'interpellation ».
Leurs arguments ne manquent pas de sel - celui que l’on dit devoir mettre sur la queue des oiseaux pour les attraper ? Entendis-je dans mon enfance. Selon leurs affirmations, ils ne chassent plus depuis plusieurs années… Diantre ! Leur véhicule doit être singulièrement mal entretenu pour que l’on y retrouvât encore poil de lièvre et sang de gibier… Quant à la viande retrouvée dans leurs congélateurs, c'était du gibier offert par des copains.
Ils prétendent qu’au moment de leur interpellation, ils se rendaient chez une connaissance précisément pour lui confier le fusil de chasse en réparation. A 6 heures du matin ? J’espère que la personne en question se lève aussi tôt que mémé Kamizole car je n’apprécierais guère être tirée de mon sommeil (bien assez difficile à venir) à pas d’heure.
Ils contestent donc l’ensemble des griefs retenus contre eux. Selon Patrick « Les gardes nous sont arrivés dessus comme si on était des criminels. L'arme était cassée, elle ne pouvait pas servir. Les phares ont balayé le paysage au moment où on faisait demi-tour dans le chemin. Deux petits camions sont passés près de nous et eux, on ne les a pas arrêtés ». Quant à Christian, il se défend d’être un « viandard » : « J'ai eu un chevreuil dans mon jardin qui dormait avec mon chien. Ça fait des années que la chasse ne nous intéresse plus ».
Malheureusement pour eux, selon M° Quinet, avocat de la fédération départementale de la chasse, partie civile au procès « Le réarmement automatique du fusil ne fonctionnait plus, mais cela n'empêchait pas de tirer. De plus, l'arme était alimentée de deux cartouches et sentait la poudre »…
Cela a effectivement bien « senti la poudre » pour les deux prévenus ! Ils n’ont pas été épargnés par le vent du boulet. Cécile Ancelin, substitut du procureur n’ayant visiblement guère apprécié leur ton goguenard. Et puisqu’ils se complaisaient à déclarer « aimer jouer à Josh Randall, le héros de la série "Au nom de la loi", justement nous sommes là pour leur rappeler ce qu'est la loi. Vous niez l'évidence avec aplomb. Vous n'êtes pas des criminels, seulement des délinquants. Et votre culpabilité est largement démontrée » Le parquet réclama trois mois de prison avec sursis et 100 € d'amende.
J’ai toujours trouvé particulièrement stupide ce genre de défense quand tous les éléments du dossier accablent les prévenus. Pourquoi nier l’évidence ? C’est prendre le risque d’indisposer les magistrats et d’encourir une peine plus importante qu’en reconnaissant les faits. C’est bien ce qui s’est produit : « Après délibéré, le président du tribunal a retenu la culpabilité des deux prévenus, infligeant à Patrick un total de 1.130 € d'amendes et à Christian un total de 430 € d'amendes. L'association de protection des animaux et la fédération des chasseurs recevront respectivement 500 € de dommages et intérêts et 563 € pour les frais de justice ».
La note est particulièrement salée, de quoi les dégoûter du braconnage jusqu’à la fin de leurs jours. L’histoire ne dit pas si le matériel destiné à la découpe du grand gibier avait été saisi en tant que corpus delicti, ce qui serait logique.
Je n’aime pas la chasse. Et moins encore le braconnage, à l’ancienne. Raboliot posait des collets le soir et les relevait au petit matin. Ceux qui traquaient le gros gibier utilisaient des pièges redoutables qui bloquaient la patte de l’animal, lequel se débattait toute la nuit. J’ai perdu un chat que j’aimais beaucoup, grand chasseur sous l’éternel. C’était à Chambourg-sur-Indre où vivait alors ma sœur, près de Loches. Nous apprîmes par la suite qu’il avait été victime d’un collet. J’espère qu’il en est mort sur le coup.