Le Tour de Piste de ChrIstian Giudicelli à Avignon

Publié le 06 juillet 2012 par Popov


 

« Tour de Piste » de Christian Giudicelli  pose un regard cruel mais désopilant sur la famille aujourd’hui et ses désillusions

Un homme seul en scène. Avec sa vie en ‘morphing », du début à la fin, qui se raconte à travers quelques épisodes-clé d’une vie d’homme. Ecoutons Chris le personnage principal de cette galerie de portraits (interprété par Stéphane Hillel)faire l’inventaire du patrimoine familial.

"Une femme pas bête, encore désirable, qui exerce un métier très supérieur au mien question fric. S’est trompée en me trompant et le reconnaît." "Quelques maîtresses pour passer le temps." "Des enfants devenus une belle jeune fille et un beau jeune homme."(Un job de fonctionnaire de l’éducation nationale (il se voyait Rimbaud, il finit instit en retraite)." "Une auto que je change tous les trois ans." "Des vacances au soleil, au Sud de l’Europe ou au Nord de l’Afrique, dans des hôtels parfaitement propres." "En vrac : des livres, la télé, des films, des disques, une oeuvre abstraite achetée à l’exposition d’un peintre inconnu. Diverses cartes : a) de crédit, b) du syndicat, c) électeur." "Etc., etc." "Une vie, quoi. Une vie."

Cet homme s’interroge . Le soir venu, a-t-il  tenu les promesses de l’Aube ?

Pas vraiment. Il a épousé Véro, pasionaria soixante-huitarde qui le trompe avec un musicien. Réponse du berger à la mégère, il trompe  également de son côté avec une collègue, plus jeune , ronde et qui rêve humanitaire. Le couple a tenu comme celui de ses parents mais sur un autre registre. Etonnante famille bobo soixante-huitarde qui enfile les poncifs comme des perles, se perd dans l’horreur du matériel et du quotidien. Le couple et ses cruelles désillusions. La famille …Avec les problèmes d’éducation à la gomme, les mœurs qui changent. Le quotidien qui bouffe, l’usure du désir, la politique qui égare. La pasionaria finira par voter Sarkozy. Plus fric que problème de capiton. Tout est passé au crible du regard d’un auteur espiègle, drôle mais qui ne rate rien de sa foutue époque. Stéphane Hillel (Chris ) incarne tous les rôles , prodigieux de justesse pour rendre cette tranche de vie.

 Presque entièrement écrit sous forme de dialogues(comme le texte original tiré du roman « Double express » chez Gallimard),  le texte est une tunique sans couture. Les joints sont invisibles précise Jacques Nerson le metteur en scène,  autre manière de dire qu’on ne voit pas le travail. Du théâtre à l’état pur comme celui des grands auteurs  beau comme du Obaldia. Au moins. Mais d’une cruauté qui s’avance  planquée.  C’est bien une vie d’homme d’aujourd’hui qui est ici racontée en une heure et demie. Un homme qui doit ranger au placard tous ses rêves. Un « tour de piste » qui fait froid dans le dos. Sommes-nous vraiment ainsi ? se demande le spectateur qui rit parfois jaune.  Sans avoir l’air d’y toucher la pièce  de  Christian Giudicelli, est un brûlot contre le conformisme familial. De quoi figer d’effroi les duègnes d’un Ministre de la famille ou celle d’une association familiale catholique. « Certaines personnes sont ressorties en larmes »confie l’auteur même si la pièce est d’une drôlerie inouïe.

Le pire, c’est qu’on  ressemble tous au fond, au personnage de « Tour de Piste ».

Cette vie  d’homme en « morphing (de l’enfant à l’adolescent, du jeune homme à l’homme mûr , au vieillard grabataire) risque fort d’être un des succès du « off ». Chris c’est nous !

 

 Tour de piste de Christian Giudicell

Mise en scène/Jacques Nerson/Décors, costumes, scénographie/Claire BellocAvec Stéphane Hillel. du 7 au 28 juillet 2012 au théâtre Les Corps Saints /Festival Off d’Avignon puis repris à Paris au théâtre Les Déchargeurs à partir du 30 octobre 2012