Voici le début d'un traité tantrique composé à Bénares à l'époque de la révolution française, la Parade des cygnes (Hamsavilâsa). Il est unique par bien des côtés, et j'espère pouvoir en offrir une traduction :
La Parade des cygnes
Première danse
Ouvertures
Hommage à ŚivaIncarné par l'Androgyne !Je loue les deux pieds du maître,Le rouge et le blanc,Posés sur le trône sacréFait de pierres précieuses en forme de cygne,Sis en plein centre de la corole du lotus immaculéA mille pétales, fécondé[1] par l'Immense. 1
Je célèbre le couple des pieds du maître,Inaccessibles à la parole comme à la pensée,Par-delà toute conjecture, mêlant leur éclat rouge et blanc :Ils sont la majesté de la déesse de la Triple cité. 2
Je salue la sublime cité, sanctuaire de toutes les Puissances,Avec son enceinte aux quatre portes,Dotées de hautes tours[2]De quinze et dix sortes. 3
Nous contemplons ce royaume bleu nuitDébordant de la manifestation sans pareille de Śiva,Demeure de félicité, de conscience et de vérité,Cause première et dernière (de toute chose). 4
Écoute
Nous contemplons le meilleurDe la source de (toute chose), Rayon de soleil de Dieu.Puisse t-il épanouir notre intelligence !
Expliquons cette révélation ! Cette "source" instigatrice (de toute chose) est Dieu, le Suprême Śiva, lui qui incite (toute chose) en tant qu'il est le régent intérieur de tout. "Puisse t-il épanouir", puisse t-il inspirer "notre intelligence", notre intellect, à prendre la délivrance comme objet (de ses réflexions). "Le meilleur" est le meilleur du sublime Suprême Śiva, de ce Dieu qui se manifeste spontanément, qui est la source, qui est l'incitateur en tant qu'il est le régent intérieur de tout, le créateur du monde. Il est le "rayon de soleil" qui doit être goûté entièrement puisque tous les objets connaissables sont autant de moyens (pour le goûter), car ce rayon de soleil anéantit les deux effets de l'ignorance[3]. "Nous contemplons", c'est-à-dire "Puissions-nous contempler" l'éclat, la lumière spontanée qui est l'Immense tel qu'en lui-même[4].
[1]viloḍita : excité, troublé, enivré, rendu fou, charmé.[2]gopuraiḥ.[3]L'ignorance en tant qu'elle cache le réel (āvaraṇaśakti) et en tant qu'elle projette les phénomènes sur le Soi (vikṣepaśakti). Maṇḍana Miśra semble être l'auteur de cette distinction.[4]parabrahmātmakam : car il y a au moins deux aspects de l'absolu (l'Immense) : l'absolu relatif à ses attributs, et l'absolu en tant qu'absolu, l'absolu suprême.