Les voilà enfin, les deux premiers morceaux de Blur depuis 2003 (si on ignore le sympathique mais anecdotique Fool’s Day). Enregistrés à l’occasion du concert de clôture des Jeux Olympiques de Londres, qui verra Blur tenir la tête d’affiche à Hyde Park devant, notamment, The Specials et New Order, ces deux morceaux vont forcément, faire couler pas mal d’encre, électronique ou pas.
Blur peut-il être aussi bon qu’avant? Doivent-ils se reformer indéfiniment pour un nouvel album ou au contraire, Damon Albarn doit-il se concentrer sur ses projets exotico-bizarres? Typiquement, on n’obtiendra aucune réponse immédiate : les deux morceaux se suffisent à eux-mêmes, et méritent chacun quelques mots...
D’abord, Under the Westway. Clairement la face A du single, il était connu depuis quelques mois, car Damon et Graham Coxon l’avaient déjà joué en concert la veille de leur apparition aux Brit Awards. Under the Westway est un morceau très anglais, très classique, tant au niveau du thème (le Westway est une célèbre section autoroutière dominant une partie de Londres) que le la composition, qui se rapproche des grandes balades d’Albarn, en plus discret.
Contrairement à ses heures de gloires passées (The Universal, To The End, This Is a Low), Damon ne cherche pas les grandes envolées lyriques : sa voix, qui a mûri, ne pourrait se le permettre. Cependant, il cherche à l’exploiter très intelligemment, en mettant en évidence la qualité de l’écriture du morceau, et une ravissante mélancolie qui ne pouvait venir que de lui.
Mention spéciale aux paroles, qui, après trois albums (Blur, 13 et Think Tank) thématiquement très différents, reviennent aux premières amours de Damon Albarn : sa ville de Londres. Le premier vers : “There were blue skies in my city today”. Pas “the” city, mais “my” city. Et contrairement à ce qu’on pouvait attendre d’une chanson sur Londres, le ciel est bleu et non gris. Albarn évoque ensuite quelques éléments de vie moderne londonienne, et termine avec une subtile référence à une autre chanson dédiée à sa métropole, London Calling.
Musicalement, Damon mène le morceau au piano, alors que Graham Coxon envoie quelques nappes de guitares atmosphériques pendant les couplets. La percussion de Dave Rowntree confère au morceau une qualité aérienne et intense qui sera à en point douter un temps fort (et potentiellement un énorme singalong) des concerts estivaux de Blur.
Enfin, comment ne pas craquer devant les backing vocals de Graham Coxon, peut-être pas ses plus émotionnels (Tender!), mais son “switch off the machines” discret est un des points forts d’un fantastique morceau, qui prouve que Damon Albarn, l’homme derrière Gorillaz, Mali Music, Doctor Dee, DRC Music, Rocketjuice and the Moon, et j’en passe, est peut-être le plus grand auteur-compositeur anglais depuis Paul McCartney.
Après un tel morceau, sa face B (ou seconde face A, selon le point de vue) est forcément plus discrète. Effectivement, mais elle ne doit pas pour autant être sous-évaluée. Après quelques écoutes, The Puritan est loin derrière Under the Westway. The Puritan est juste une chanson fun, avec une ligne de synthé presque embarrassante. Certes, mais après quelques écoutes, comme les meilleurs morceaux, elle se dévoile petit à petit, et c’est sans doute elle qui représente le mieux l’évolution du groupe.
Si Under the Westway aurait finalement pu être écrit et enregistré à n’importe quel moment depuis 1994 (à l’exception de la voix de Damon), The Puritan est clairement ancré en 2012. Structurellement, il n’est pas trop éloigné des morceaux un peu plus punky/bouncy de Blur, comme Coping ou Popscene. Mais alors qu’à l’époque, ils auraient probablement surchargé la production de cordes et (surtout) de cuivres. Ici, rien d’autre que deux guitares, une basse et cette boîte à rythmes marrante qu’Albarn a probablement trouvé aux puces de Portobello Road (enfin, c’est sans doute une app à 75 cents pour iPad, mais ne cassez pas mon rêve, merci).
The Puritan, donc, est un morceau bien enlevé qui perd le peu de prétention qu’il avait au départ au milieu du morceau, avec des “lalala” qui, eux aussi, passeront très bien à Hyde Park. Nettement moins sérieux que sa face A, il permet de constater que Blur a gardé un côté ludique bien sympathique. Et aussi un poil perversif : Damon en profite pour un peu cracher dans la soupe, en critiquant l’institutionnalisation de l’Angleterre contemporaine (six syllabes, “institutionalised”, Beady Eye ils ne font pas ça, des mots de six syllabes), notamment en ce qui concerne l’hypocrisie des … Jeux Olympiques! Mais on reste dans l’observation sociale typique Albarn période Modern Life is Rubbish/Parklife/The Great Escape, avec notamment l’importance de la TV et de la publicité dans le brouillage des prises de décision de chacun, au moyen, par exemple, de cette très jolie phrase “I’m falling into something that plays upon the metronome in your heart”.
Le morceau est donc conduit par cette ligne de synthé absolument pas sérieuse du tout, et il prend une tournure carrément bordélique quand Coxon balance des bonnes grosses doses de feedback sur le refrain. Si Under the Westway était le retour sérieux, The Puritan est la flipside fun, mais pas seulement.
Tout ça nous amène à une double conclusion. D’abord, oui, il y a une énorme place pour Blur dans le paysage musical contemporain. Pour la nostalgie, certainement : ils ont rempli Hyde Park sans difficulté. Mais ces deux nouveaux morceaux montrent que même si les carrières solo de Coxon et Albarn sont couronnées de succès, quand ils sont ensemble, avec Dave Rowntree et (quand même) Alex James, c’est encore autre chose, et c’est fantastique.
Blur reviendra dans l’actualité le dernier jour de juillet avec un énorme box set reprenant l’intégralité de leur discographie (faces B et albums) ainsi que des tonnes d’inédits (j’accepte les cadeaux et donations