"Let us sit upon the ground
And tell sad stories of the death of kings.
How some have been deposed; some slain in war;
Some haunted by the ghosts they have deposed;
Some poisoned by their wives; some sleeping killed.
All murdered. For within the hollow crown."
Un été shakespearien, ça vous dit ? Après tout, la période estivale est l'occasion parfaite pour prendre le temps de (re)découvrir certains grands classiques ! Dans le cadre des manifestations autour de la culture britannique accompagnant les Jeux Olympiques de Londres, BBC2 se propose ainsi de transposer du Shakespeare à l'écran, trente ans après le dernier grand cycle d'adaptations télévisées du célèbre auteur sur la chaîne publique anglaise. Sous le titre de The Hollow Crown (extrait d'un dialogue de Richard II), vont se succéder quatre oeuvres : Richard II, Henry IV parts. 1 & 2 et Henry V.
Cette tétralogie a débuté samedi dernier (le 30 juin 2012) sur BBC2 avec Richard II. Réalisée par Rupert Goold, ce fut une belle soirée de 2h20 au cours de laquelle le passage du théâtre au petit écran a été dans l'ensemble très bien négocié, en dépit de la difficulté inhérente à cette pièce particulière. Pour réussir ces mises en scène, The Hollow Crown pourra s'appuyer tout au long de ses quatre parties sur un casting principal et secondaire de luxe qui mérite bien cinq étoiles. Dans les rôles-titres, on retrouvera respectivement Ben Whishaw en Richard II, Jeremy Irons en Henry IV et Tom Hiddleton en Prince Hal/Henry V.
L'histoire relatée dans cette pièce débute lorsque deux seigneurs, Henry Bolingbroke, cousin de Richard II, et Thomas Mowbray sollicitent l'intervention du roi dans le conflit qui les opposent. Les accusations sont lancées sans que nul ne puisse calmer les deux adversaires afin de trouver une conciliation. Richard II accepte d'abord l'idée de voir trancher le litige par un duel... qu'il interrompt brusquement au dernier moment. Il prend alors la décision d'ordonner le bannissement du royaume des deux hommes, à vie pour Mowbray, durant six ans pour Bolingbroke. C'est le début d'une série de choix qui vont fragiliser sa position.
Alors que Bolingbroke est en exil, son père, John of Gaunt, décède. Richard II fait saisir ses terres et sa fortune, avec pour objectif d'entreprendre une expédition en Irlande qu'il faut financer. En secret, des comploteurs insatisfaits s'agitent. Alors que le roi est loin d'Angleterre, Bolingbroke revient dans le royaume bien décider à réclamer ses droits légitimes.
Richard II, c'est le récit de la chute d'un roi et de l'ascension sur le trône d'un pragmatique qui va exploiter le mécontentement suscité par certaines décisions royales pour s'emparer de la couronne. N'ayant jamais lu ou vu la pièce auparavant, cette version a donc été pour moi une découverte : l'expérience a été savoureuse, et le plaisir tout aussi présent. Car des vers shakespeariens aux dialogues mis en scène, le passage s'opère naturellement, permettant au récit de conserver toute sa force. La narration est bien huilée et se déroule sans temps mort, allant à l'essentiel pour rester fidèle à l'esprit de l'oeuvre de départ. C'est ainsi que l'introduction est rapide, le conflit porté devant Richard II puis le duel qui se termine par les sanctions, constitue une ouverture qui donne immédiatement le ton et surtout dessine les camps. Le téléspectateur est happé dans les jeux de pouvoir qui s'esquissent, d'autant que l'adaptation va toujours bien mettre en exergue les scènes clés qui sont autant de tournants dans le destin du roi. Le lent cheminement vers la déchéance s'opère par étapes, et se conclut une première fois dans une scène d'abdication dans la salle du trône d'une impressionnante et rare intensité ; puis par un dernier plan hautement symbolique où son cadavre transporté fait écho au crucifix qui surplombe l'immense pièce.
D'ailleurs, dans ce travail d'adaptation, il faut souligner l'incorporation sans alourdir le récit d'une symbolique (chrétienne) très présente. On touche là à un autre enjeu d'importance pour réussir la transposition d'une pièce de théâtre au format télévisé : celui de la réalisation. Le défi était d'autant plus difficile à relever que Richard II est une histoire comprenant peu d'action, qui repose surtout sur les tirades de ses personnages et ce recours aux symboles. La mise en scène est pourtant fluide, tout en restant relativement figée. Elle sait parfaitement tirer avantage du fait d'être filmé dans un décor réel, qu'il s'agisse d'exploiter la grandeur de certains lieux comme la salle du trône, ou bien d'utiliser le paysage pour sublimer des passages. Parmi les scènes très réussies, il y a par exemple celle du retour de Richard après la rebellion, lorsqu'il met pied à terre, sur la plage avec la mer derrière lui, et qu'il apprend comment les rapports de force ont tourné en sa défaveur. D'autres fois, Rupert Goold opte au contraire pour des plans serrés qui retranscrivent de la manière la plus brute possible les émotions de chacun. C'est souvent judicieux, notamment parce que les acteurs sont au rendez-vous.
Car évidemment, le plus déterminant lorsque l'on met en scène de tels classiques reste les performances du casting qui doit s'approprier ces lignes et reprendre des rôles avec lesquels le public est déjà familier. Et sur ce plan, Richard II est assurément à la hauteur des ambitions affichées : son casting sera une de ses grandes forces, tout le monde se révélant plus qu'à la hauteur de l'évènement, à commencer par un mémorable Ben Whishaw (The Hour). Ce dernier trouve dans ce rôle de roi, glissant vers la déchéance, une occasion en or pour faire étalage d'un talent qu'il n'a plus à démontrer. D'un charisme constant, il fascine, captive et capture parfaitement l'ambivalence de ce roi complexe, avec une intensité troublante. Certaines de ses scènes hanteront quelques temps la mémoire du téléspectateur.
Face à lui, Rory Kinnear (The Mystery of Edwin Drood, Black Mirror) incarne ce rival qui gagne en stature et va prendre une autre dimension en s'emparant de la couronne : il est tout aussi impeccable (et, après avoir pu l'apprécier dans des registres très différents, je dois dire que j'aime décidément beaucoup cet acteur). Quant à Patrick Stewart (Star Trek : the next generation), il marque durablement grâce une dernière scène de défiance contre le roi qui m'a donné des frissons. David Suchet (Hercule Poirot, Great Expectations) et David Morrissey (State of Play, Blackpool) proposent également de très solides performances, offrant bien la réplique aux personnages centraux. Et puis, dans ce casting qui ravira tout téléspectateur familier des écrans britanniques, on retrouve également Tom Hughes (Silk), James Purefoy (Rome), Lindsay Duncan (Shooting the past, Rome), Samuel Roukin (Appropriate Adult), mais aussi Clémence Poésy, Ferdinand Kingsley, Harry Hadden-Paton ou encore Finbar Lynch (Proof). Pour résumer en une phrase : Richard II rassemble un casting de rêve qui impressionne et contribue grandement à sa réussite.
Bilan : C'est avec une adaptation convaincante de Richard II que BBC2 a ouvert son été. Cette transposition est bien servie par une mise en scène maîtrisée qui sait exploiter le format télévisé jusque dans sa bande-son, certes parfois un peu intrusive, mais souvent juste pour donner la tonalité et conférer une dimension supplémentaire au récit se jouant sous nos yeux. Elle s'appuie aussi sur un casting de choix aux interprétations marquantes. Si les parties suivantes sont du même acabit, cet été 2012 aura un parfum Shakespearien très prononcée !
Une oeuvre conseillée pour tous les amoureux de culture britannique, les amateurs de théâtre, de Shakespeare... et pour tous les curieux qui veulent profiter d'une bien belle transposition à l'écran.
NOTE : 8/10
La bande-annonce de The Hollow Crown :