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Algérie, 50 ans après

Publié le 05 juillet 2012 par Egea

Il y a cinquante ans, le 5 juillet 1962, l'Algérie proclamait son indépendance. Conclusion logique d'un conflit violent qui avait temriné sinistrement un siècle de malentendus. Les passions avaient été portées au vif, de part et d'autre. Au point de constituer un élément déterminant de la géopolitique des deux pays, l'Algérie bien sûr, mais aussi la France. Cinquante ans après, alors que les passions s’apaisent malgré tout, il est temps de poser avec tact un regard distant sur la question.

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1/ D'emblée, précisons que je n'ai pas été marqué par la guerre d'Algérie, que ce soit par histoire personnelle ou par tradition familiale, en pour ou en contre. Ce n'est qu'adulte que j'ai abordé le sujet, avec donc sinon une neutralité (est-elle possible ?) du moins une distance qui permettait, un peu, de se tenir éloigné des passions. Aussi, quand bien des années plus tard je lisais sous la plume d'Yves Lacoste que cette indépendance avait profondément marqué la géopolitique française, j'en ai été quelque peu troublé. Certes, je vois là le reflet de l'expérience personnelle de Lacoste, né à Fez au Maroc en 1929, et donc très touché par la question d'Afrique du nord, sans même parler de son parcours politique (il enseigne au lycée d'Alger entre 1952 et 1955 et se met aux côtés des indépendantistes). Toutefois, de la part d'un esprit clairvoyant, tout particulièrement en géopolitique (c'est quand même le père de l'école française de GP), il y avait un indice qu'on ne pouvait évacuer d'un revers de main. Et si l'indépendance est logiquement une date marquante de l'Algérie, il fallait creuser la chose du côté français. L'écriture d'une Géopolitique de la France m'a aidé à approfondir cette réflexion.

2/ Du côté algérien, l'indépendance est très logiquement une date marquante de la géopolitique nationale. Elle est le reflet certes d'une guerre d'indépendance, guerre sanglante (qui fit 1,5 millions de morts), guerre déchirante également. Mais guerre fondatrice en tant qu’État, j’allais dire comme État westphalien.

3/ Auparavant en effet, l'histoire de l’Algérie est tumultueuse : des premiers berbères aux Carthaginois, des Romains aux Vandales, l'Algérie n'est qu'un trait de côte, à la jonction de plusieurs mondes : l'orient musulman à l'est et l'occident catholique à l"ouest et au nord. Elle est divisée en tribus et en seigneuries, soumise à des influences diverses : Portugais, Espagnols, Arabes.... La "Régence d'Alger", installée en 1515 par Khayr ad-Din Barberousse, est une sorte de protectorat ottoman : la distance permet une vraie autonomie, et le proto-État vit de la guerre de course, une quasi piraterie. L'Algérie vit vers le nord, c'est-à-dire la mer, et délaisse le sud (le Sahara, l'Afrique) qu'elle ne cherche pas à dominer. L'Algérie est un État d'abord méditerranéen. Un trait de côte, un protectorat, un pouvoir faible...

4/ La colonisation française à partir de 1830 est un peu le fait du hasard, sans véritable intention géopolitique. Le pays est soumis vers 1870, avant donc la III° République ! Très tôt, elle est administrée sous une forme quasi française : on crée trois départements (auxquels on ajoutera plus tard les départements du Sahara), et on pratique une colonisation de peuplement (des Français et des Espagnols), à la différence des autres colonies qui sont toute conçues comme des colonies d'exploitation.

5/ Voici donc plusieurs éléments fondamentaux qui sont mis en place :

  • une administration simili française, mais qui ne va pas jusqu'au bout (puisque les indigènes sont sujets, et ont un statut spécial qui ne leur accorde pas la nationalité) ;
  • une population allogène qui s'installe durablement, sans pourtant réellement se mélanger à la population indigène ;
  • enfin, l'intégration d'un gigantesque arrière-pays, le Sahara, qui fait de l'Algérie le plus grand pays d'Afrique.

6/ Le printemps des peuples qui avait balayé l'Europe au XIX° siècle devait parcourir le monde au XX°, après les guerres civiles européennes. Les Franaçis mirent beaucoup de temps à comprendre que leur distinction entre le reste de l'empire et l'Algérie ne pouvait être acceptée au regard de l'histoire : et que s'ils refusaient de donner la citoyenneté française à tous les indigènes, alors l'Algérie ne pouvait être "française".

7/ J'ai expliqué dans un autre billet "l'asymétrie historique" qui expliquait pourquoi de "jeunes" États conservaient pieusement l'opposition fondatrice : car malgré les apparences, leur nation est jeune. Ainsi faut-il comprendre l'attitude distante et toujours difficile de l'Algérie envers la France, même si le temps passant, les paraboles et les liens migratoires aidant, la relation transméditerranéenne perdure et devrait permettre de nouer des rapports plus intéressés et moins passionnés. Le long cahier "publireportage" inséré dans Le Monde d'avant-hier est un signe de cette normalisation. Le vieillissement de la génération de l'indépendance et les bouleversements actuels devraient l'encourager...

8/ Venons en à la France : en toute logique, celle-ci devrait avoir négligé cet épisode de son histoire : on a intégré vaille que vaille les pieds-noirs, négligé les harkis, on était dans les trente glorieuses et il fallait d'abord se préoccuper du développement économique. De Gaulle avait quant à lui une politique arabe, et ses successeurs avaient une crise pétrolière à s'occuper, puis les aléas de l'histoire. La guerre d’Algérie était passée par pertes et profits.

9/ C'est d’ailleurs cette logique qui marqua, je m'en rends compte, mon éducation. Au fond, une histoire nationale consiste aussi à oublier. L'oubli est vertueux et on oublia la guerre d'Algérie. Je m'en rendis compte ultérieurement : rencontrez des hommes de cette génération qui y ont fait leur service militaire : ils n'en parlent jamais. Ce silence pose question. A l'examen, j'y décèle l'incertitude et la circonspection des honnêtes hommes placés là, dans un chaudron de passions entre extrémistes de tout bord, et qui refusaient de prendre parti et faisaient simplement, en tant qu'appelés, leur mission. Leur silence trahit une gêne.

9/ Cette gêne est française. Il ne s'agit pas du grand discours sur la colonisation qui anima la troisième république. L'Algérie n'était pas l'Empire. L'empire a pu échouer, il en reste quelque chose, une sorte de "grandeur de la France", avec ses vertus (la francophonie) et ses péchés (la françafrique). Pas de ça en Algérie.

10/ En travaillant sur mon livre, je me suis aperçu que la notion d’hexagone, que nous croyons française de toute éternité, est en fait très récente : elle a été popularisée dans les années 1960, quand justement la France est revenu sur ses seuls rivages européens. La création de l'hexagone va de pair avec l'aventure européenne. C'était un changement de projet géopolitique.

  • Le passage d'un projet expansionniste, celui de la III° République, consistant aussi bien en la constitution de colonies pour compenser la perte de l’Alsace-Lorraine et la recherche constante de la récupération de celle-ci : projet quasiment achevé en 1945
  • passage à un projet de recentrage sur le continent européen, au travers d'une construction communautaire conçue comme une autre multiplication de puissance : c’est le projet de la V° République.
  • Au fond, la guerre d'Algérie marque ce passage entre deux projets géopolitiques, et ce fut la IV° République qui en fut le promoteur, et la victime.

Trois ans après l'ouverture de ce blog, voici donc le premeir billet consacré à l'Algérie : cette attente n'est pas le fait du hasard, mais d'une hésitation. Résolue seulement en parlant simultanément de l'Algérie et de la France. Deux pays distincts, mais dont l'histoire est intimement liée. Deux nations méditerranéennes, qui pourraient orienter durablement le développement de cette région euro-méditerranéenne occidentale.

O. Kempf


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